Le Loup et le Chien maigre (Livre IX – Fable 10)

Revoici une inspiration d’Esope (« Le Chien endormi et le Loup »). En 1678, le rival de Voiture, Isaac de Benserade (1613-1691) réduira cette fable en quatrains. On rapprochera la présente fable, quant au thème, de la pièce Le petit Poisson et le Pêcheur » (Livre V, fable 3) à laquelle fait d’ ailleurs allusion La Fontaine dans ses trois premiers vers.
Voici le texte de Benserade :
« Sous la patte d’un loup plutôt friand qu’avide,
Un Chien dit : Attendez, je suis maigre, je suis vuide,
Je m’en vais à la noce, et j’en reviendrai gras.
Le Loup y consentit, le Chien ne revint pas. »
(cité dans « La Fontaine – Œuvres complètes, tome I ; Fables, contes et nouvelles » édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Collinet ; NRF Gallimard ; Bibliothèque de La Pléiade ; 1991, p. 1232).
Il serait intéressant d’étudier l’évolution du comportement du loup à travers les fables de La Fontaine, cette conduite évoluant de plus en plus au fil des textes : dans cette pièce, « ce loup ne savait pas encor bien son
métier ».

             Autrefois carpillon fretin (1)
Eut beau prêcher, il eut beau dire,
On le mit dans la poêle à frire.
Je fis voir que lâcher ce qu’on a dans la main,
Sans espoir de grosse aventure, (2)
Est imprudence toute pure.
Le pêcheur eut raison; Carpillon n’eut pas tort:
Chacun dit ce qu’il peut pour défendre sa vie.
Maintenant, il faut que j’appuie
Ce que j’avançai lors, de quelque trait encor.Certain loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un chien hors du village,
S’en allait l’emporter. Le chien représenta
Sa maigreur: «  (3) ne plaise à Votre Seigneurie
De me prendre en cet état là;
Attendez: mon maître marie
Sa fille unique, et vous jugez
Qu’étant de noce, il faut, malgré moi, que j’engraisse.
Le loup le croit, le loup le laisse.
Le loup, quelques jours écoulés,
Revient voir si son chien n’était point meilleur à prendre ; (4)
Mais le drôle était au logis.
Il dit au loup par un treillis:
«Ami, je vais sortir; et si tu veux attendre,
Le portier du logis et moi
 Nous serons tout à l’heure à toi.» (5)
Ce portier du logis était un chien énorme,
Expédiant les loups en forme.
Celui-ci s’en douta. «Serviteur au portier,»
Dit-il; et de courir (6). il était fort agile;
Mais il n’était pas fort habile:
Ce loup ne savait pas encor bien son métier.

Fretin:  Diminutif de « fret », signifiant « débris.Aventure: L’aventure est, selon Richelet un « terme de mer. C’est de l’argent donné au risque de la er et dont l’intérêt se paie après le retour du navire ».

:  Adverbe renforçant la négation qui le suit.

Son chien : présomptueux, le loup. On retrouve le même trait dans L’Ours et les deux compagnons » (Livre V, fable 20, vers 9) : « Dindenaut prisait moins ses moutons qu’eux leur ours » et dans « L’Araignée et l’ Hirondelle » (Livre X, fable 6, vers 7,8) : « Elle me prend mes mouches à ma porte : / Miennes je puis le dire ;… ».

Nous serons tout à l’heure à toi: Cette fin fait penser à la fable « Le Coq et le Renard » (Livre II, fable 15), dans laquelle le coq ‘voit’ deux lévriers arriver en courant : Je vois deux lévriers / Qui, je m’assure sont courriers / Que pour ce sujet on envoie ». Et la suite est du même ordre que celle de la présente fable : « Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire ; / Nous nous réjouirons du succès de l’affaire / Une autre fois ».

Courir: Infinitif de narration.