Un vieux coq adroit et matois.
« Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.
Je viens te l’annoncer, descends, que je t’embrasse.
Ne me retarde point, de grâce:
Je dois faire aujourd’hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer
Sans nulle crainte à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux dès ce soir,
Et cependant, viens recevoir
Le baiser d‘amour fraternelle.
– Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle
De cette paix;
Et ce m’est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,
Qui, je m’assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite et seront dans un moment à nous
Je descends: nous pourrons nous entre-baiser tous.
– Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire,
Nous nous réjouirons du succès de l’affaire
Une autre fois.» Le galand aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;
Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
Matois: Finaud, rusé.
Embrasser : serrer dans les bras (cf. « L’Ane chargé d’éponges et l’Ane chargé de sel » (Livre II, fable 10, vers 30, 31) : « L’Anier l’embrassait, dans l’attente / D’une prompte et certaine mort ».
Postes: Le terme désigne les étapes entre deux relais de poste, c’est-à-dire une lieue et demie ou deux » (7 à 10 km).
Les feux: Les feux de joie qui, ici, sont censé fêter la paix nouvellement déclarée.
Le mot « amour » est aussi bien féminin que masculin. Allusion au baiser de paix en usage dans l’Eglise catholique. Ce vers ne vous fait-il pas penser au vers 46 de la fable « Le Chat et le Rat » (Livre VIII, fable 22) : « Ah ! mon frère, dit-il, viens m’embrasser » ?
Je m’assure: J’en suis certain.
Ma traite: Mon chemin (du verbe « traire » signifiant « marcher).
Grègue signifie un pantalon large ; on les relevait pour courir plus vite.
Gagne au haut: S’enfuit (synonyme de « gagne le haut »).
C’est double plaisir de tromper le trompeur: « Il n’est pas malaisé de tromper le trompeur », dira La Fontaine dans « L’Enfouisseur et son Compère » (Livre X, fable 4, vers 30). A son tour, Mlle de Scudéry pourra écrire : « … imaginant un grand plaisir à tromper qui l’avait trompé » (« Clélie », IIIe partie, livre I) (cité dans « La Fontaine – Œuvres complètes, tome I ; Fables, contes et nouvelles » édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Collinet ; NRF Gallimard ; Bibliothèque de La Pléiade ; 1991, p. 1090).