L’ Enfouisseur et son Compère (Livre X – Fable 4)

Si cette fable est inspirée d’Abstémius, nous pouvons retrouver le même procédé, utilisé ici par l’avare, repris cette fois par Anselme dans « L’ Etourdi » de Molière (II, 5). Dans la présente pièce, La Fontaine dénonce une nouvelle fois le désir d’ accumuler des richesses. Mais cette fois, l’avare se corrige, non à cause d’inutiles discours – qui seraient restés pure théorie – mais par la vision, et, ce faisant, la compréhension directe de son vice.
Dans son remarquable ouvrage, Marc Fumarolli nous invite à lire à la suite les diverses fables de La Fontaine traitant du sujet de l’avarice et de percevoir ainsi l’évolution de la notion d’argent ainsi que de celle de l’avare (« La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 946). Vous pourrez donc relire « L’Avare qui a perdu son trésor » (Livre IV, fable 20), « Le Dépositaire infidèle » (IX, 1) ainsi que « Le trésor et les deux Hommes » (IX, 16).
Nous avons ici encore un bel exemple de l’humour très fin de La Fontaine qui fait tromper le malin par plus subtil que lui.

Un Pinsemaille avait tant amassé
Qu’il ne savait où loger sa finance.
L’avarice, compagne et soeur de l’ignorance,
Le rendait fort embarrassé
Dans le choix d’un dépositaire ;
Car il en voulait un, et voici sa raison :
L’objet tente ; il faudra que ce monceau s’altère,
Si je le laisse à la maison ;
Moi-même de mon bien je serai le larron.
Le larron, Quoi jouir, c’est se voler soi-même !
Mon ami, j’ai pitié de ton erreur extrême ;
Apprends de moi cette leçon :
Le bien n’est bien qu’en tant que l’on s’en peut défaire.
Sans cela c’est un mal. Veux-tu le réserver
Pour un âge et des temps qui n’en ont plus que faire ?
La peine d’acquérir, le soin de conserver,
Otent le prix à l’or, qu’on croit si nécessaire.
Pour se décharger d’un tel soin,
Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin ;
Il aima mieux la terre, et prenant son compère,
Celui-ci l’aide. Ils vont enfouir le trésor.
Au bout de quelque temps, l’homme va voir son or :
Il ne retrouva que le gîte.
Soupçonnant à bon droit le compère, il va vite
Lui dire : Apprêtez-vous ; car il me reste encor
Quelques deniers : je veux les joindre à l’autre masse.
Le compère aussitôt va remettre en sa place
L’argent volé, prétendant bien
Tout reprendre à la fois sans qu’il y manquât rien.
Mais, pour ce coup, l’autre fut sage :
Il retint tout chez lui, résolu de jouir,
Plus n’entasser, plus n’enfouir ;
Et le pauvre voleur, ne trouvant plus son gage,
Pensa tomber de sa hauteur.
Il n’est pas malaisé de tromper un trompeur.

Enfouisseur: Mot probablement forgé par La Fontaine lui-même. Il vient d’enfouir, c’ est-à-dire d’enterrer. Il vient d’enfouir, c’est-à-dire mettre en terre.

PInsemaille: Nom donné par La Fontaine à l’avare, à un homme qui ne lâcherait pas une maille (la maille, sous les Capétiens, est la plus petite monnaie, donc de peu de valeur, environ un demi-denier) ou, interprétation tout aussi plausible, à un homme qui tient en main les mailles de sa bourse. On retrouve ce mot chez Clément Marot dans la deuxième « Epître à Lyon Jamet »).

Jouir, c’est se voler soi-même: Voir aussi « Tu travailles, méchant, à te voler toi-même » (Boisrobert, « La belle Plaideuse », acte I, scène 8, 1655).

De sa hauteur : de tout son haut.

Il n’est pas malaisé…Déjà signalé avec finesse : « Car c’est double plaisir de tromper le trompeur » (« Le Coq et le Renard », Livre II, fable 15, vers 32).