Le Chêne et le Roseau (Livre I – Fable 22)

Le canevas de cette fable est à trouver chez Esope « « Le Roseau et l’ Olivier »). Mais on trouve également une autre version sur le même sujet, celle d’Aphtonius (La fable du Chêne et du Roseau, avertissant de ne pas se fier à la vigueur physique »).
Cette fable a suscité l’admiration générale. Il faut dire que La Fontaine se plaisait à dire qu’elle était sa préférée « Cette pièce a tout ce qu’on peut désirer pour être parfaite », dira l’abbé Batteux dans ses « Principes de la littérature ». Chamfort louera aussi cette fable, prétendant que de tous les apologues, il n’en est pas de plus achevé [que celui-ci] dans La Fontaine ». Est-il d’ailleurs chez le fabuliste pièce plus poétique, plus concise, plus achevée que celle-ci ?

 

Le chêne un jour dit au roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrai de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
– Votre compassion, lui répondit l’arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
L’arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

 

Roitelet: Oiseau insectivore d’Asie et d’Europe (du genre Regulus et de la famille des Sylviidés). C’est l’un des oiseaux les plus petits de France.

Aquilon: Terme uniquement poétique pour désigner le vent du Nord réputé froid et violent.

Zéphir: A l’inverse, vent léger, doux et agréable.

Sur les humides… vent: Les marécages.

Arbuste: Bien sûr, le roseau n’est pas un arbuste mais une graminée. Peu importe, le sens poétique est clair.

Comme il disait ces mots: Hémistiche semblable dans « Le Loup, la Chèvre et le Chevreau » « Comme elle disait ces mots, / … » et tout à fait identique dans « Le Loup, la Mère et l’Enfant » « Comme il disait ces mots, on sort de la maison, / … ».

Et dont les pieds.. morts: Nous lisons dans « Les Géorgiques » de Virgile, (II, vers 291-292) …le chêne vert surtout, dont la tête s’élève autant vers les brises éthérées que sa racine s’enfonce vers le Tartare.» (« Les Géorgiques » – traduction et notes par Maurice Rat, GF – Flammarion, 1967, p. 124. Voir aussi (toujours de Virgile) « L’Enéide » (IV, vers 445-446)