Des westerns en bande dessinée qui valent le coup, c’est possible ? Mais oui ! Alors, direction l’ouest américain… au grand galop et en BD !

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La diversité graphique est le grand atout de la bande dessinée, ce que démontre aisément le collectif d’auteurs de « Lawmen of the West » qui, chacun à sa façon, reconstruit l’Ouest américain. Et qu’on l’aborde en noir et blanc (« Revoir Comanche ») ou en couleurs sublimes (comme dans « Pastorius Grant » et « Aucune tombe assez profonde »), le dépaysement est également total. Cela n’empêche pourtant pas qu’on s’y intéresse aussi aux individus, à leurs états d’âmes, à leurs psychologies (c’est le cas avec « La vengeance » ou « Revoir Comanche »), sans oublier l’Histoire du grand Ouest (voir « La Piste de l’Oregon » et « Lawmen of the West »). Bref, le western en bande dessinée, ça vaut vraiment le coup !

« Lawmen of the West » de Tiburce Oger et collectif (Editions Grand-Angle)

Douze récits retraçant les vies de représentants de l’ordre dans l’Ouest américain de 1813 à 1902. Chasseurs de primes, shérifs et marshals côtoient juges et bourreaux pour faire respecter la loi dans les grands espaces pris d’assaut par les pionniers et les aventuriers en tout genre.

Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques, le « far west », donc, et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient bien souvent qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses. Pour leur faire face, les contrer, il fallait des hommes de lois, des chasseurs de prime, des juges, des bourreaux, précisément réunis dans ce quatrième volet « LawMen of the West ».

Oger et Richez font à présent la part belle à ces redresseurs de torts qui ont bel et bien existé et qui, de 1813 à 1925, des « minutemen » aux chasseurs de déserteurs, sont indissociables de l’histoire de l’Ouest, fabuleuse par certains aspects, désastreuse pour d’autres. La violence des combats, notamment contre les Indiens, le double jeu de certains hommes de loi, le racisme vis-à-vis des Noirs, rien n’est cependant caché ou négligé dans ces récits.

À noter que cette fresque de l’Ouest est aussi celle de l’Est américain, ou du Sud. Les différentes histoires ne se limitent effectivement pas à la conquête de l’Ouest mais évoquent bien des contrées : le Texas et le Nouveau-Mexique, New York, Baltimore ou la Pennsylvanie, l’Arkansas… Là encore avec une palette de talents graphiques dont la diversité rend la lecture particulièrement stimulante.

«» de Romain Renard (Editions Le Lombard)

1932, Californie. Cole Hupp (Red Dust) est un vieil homme, bourru, qui vit à l’écart du monde. Il reçoit alors la visite de Vivienne, une bibliothécaire qui s’inquiète d’être sans nouvelles du ranch Triple 6 où Red Dust a travaillé autrefois et où il a connu Comanche, la fermière propriétaire de ce ranch 666, une femme qu’il n’a pas oubliée et que, finalement, il aimerait revoir.

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Vivienne parvient à le décider à reprendre la route vers son passé. Avec ses souvenirs, ses regrets, ses fantômes, il retourne avec elle vers le Wyoming. Red Dust remonte le temps, remonte son temps dans un road-trip troublant…

On peut lire cet album sans connaitre la série « Comanche » de Greg et Hermann, mais l’album est d’abord un incroyable hommage aux personnages de cette série des années 70 parues dans le journal Tintin.

Romain Renard réalise là un album fascinant et même émouvant, un chef d’œuvre tout simplement, aux silences éloquents, aux paysages noirs et gris fascinants, qui frisent la photo quelquefois !

C’est l’occasion de relire son non moins impressionnant « Melvile », son univers sombre, souvent nocturne, aux ambiances inquiétantes parfaitement restituées par les dessins floutés.

« La Piste de l’Oregon. 1 » de Krings et Corbeyran (éditions Kennes)

Un convoi de charriots a quitté Independence, dans le Missouri, à destination d’Oregon City. En 1843, cette piste vers le Pacifique, traversant nombre d’états dont le Wyoming, promettait la terre promise au bout de plusieurs mois d’aventures et de dangers.

Autant dire que tout le monde n’arrivait pas sain et sauf au bout d’un tel parcours semé d’embûches pour lequel il fallait compter sur des guides expérimentés. Parmi les migrants, Pierre Charbonnier, trappeur français et charpentier qui s’est marié à une Indienne Sioux nommée Wakanda. Une Indienne !

La présence de cette « sauvage » n’est évidemment pas au goût de tout le monde surtout quand celle-ci prend l’initiative d’aider un jeune Noir en fuite. Là, c’en est trop pour les Blancs colonisateurs parfaitement racistes ! Corbeyran se fait d’ailleurs un évident plaisir – et avec raison – à leur dresser le portrait.

La tension monte dans le convoi, mais Pierre Charbonnier est suffisamment bagarreur pour assurer le calme, mais ce n’est pas son rôle ce que lui rappellent le capitaine Watterson qui même le convoi et deux fortes têtes pas très sympathiques. La route est encore fort longue quand, arrivés dans le Missouri, on accuse le jeune Noir d’avoir volé l’or d’une famille de fermiers locaux.

Tout se complique et le western se fait enquête policière car Wakanda est convaincue de son innocence et entreprend de l’innocenter en cherchant les preuves et les éventuels coupables.

Voilà un album documenté et bien mené (rien de surprenant quand c’est signé Corbeyran !), dessiné d’un trait vif et dynamique par Jean-Marc Krings, avec des personnages bien typés et des décors à la hauteur, le tout sous les couleurs efficaces d’Antoine Kompf. En bref, sur près de 80 pages, une belle occasion de prendre la piste…

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« Pastorius Grant » de Marion Mousse (éditions Dargaud)

Accompagnée de son cochon, une fillette aveugle demande l’aide de Pastorius Grant, un chasseur de primes sans pitié, pour venger la mort de son père… Si l’histoire n’est finalement pas très captivante, il en est tout autrement de la réalisation graphique, réellement fascinante. Le traitement des décors de l’Ouest américain par le choix de couleurs vives juxtaposées au rendu incroyablement impressionniste est précisément… impressionnant !

Nombre de cases sont de véritables tableaux qu’on pourrait imaginer en posters et, l’album terminé, on se surprend à vouloir revenir sur les dessins, à feuilleter pour mieux apprécier ici et là certaines de ces cases. Décors de forêts, univers de rocailles, scènes d’averses… c’est du grand art !

« La vengeance » de David Waultier (éditions Anspach)

Au XIXe siècle, dans le Wyoming, Richard Hatton a tout pour être heureux entre son lopin de terre et sa famille. Ce bonheur est réduit à néant le jour où sa femme est violée et tuée par Jim Pickford et ses deux acolytes. Rendu fou de chagrin et ivre de vengeance, Richard se lance avec ses jeunes enfants à la poursuite des assassins…

L’enjeu – la vengeance – est à l’évidence assez classique, mais on suit avec beaucoup d’intérêt les péripéties de ce trio inhabituel qui va affronter maints dangers (le froid, la faim…) et situations exceptionnelles dans les montagnes enneigées du Wyoming que l’auteur restitue plutôt bien.

Six. 2 Une montagne d’or de Sanchez Casado et Pelaez (éditions Dargaud)

Ils sont effectivement six, dans les années 1850, en comptant Kid, un garçon rendu borgne lors du massacre de sa famille. Alors que Kid doit se rendre dans les Black Hills (Dakota du sud) pour récupérer un document très important sur une mine d’or dont il a hérité (mais qui serait maudite), il promet à une prostituée, à un déserteur de l’armée, à un esclave en fuite, à une religieuse qui a quitté les ordres et à un Indien renégat de les couvrir d’or s’ils l’accompagnent…

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le scénariste a voulu réunir des personnages hors normes et qui n’avaient finalement aucune raison de rester ensemble. Mais l’appât du gain, la promesse de la richesse et le besoin de se grouper pour se défendre sont de très bonnes raisons dans un monde hostile et violent. Et, côté violences, Pelaez n’y va pas de main morte !

Déjà, le premier volet proposait du western à l’état pur avec scènes d’action musclées, chevaux galopant, revolvers en furie et beaux décors, le tout autour de ces personnages atypiques, qui faisaient incontestablement la force du volet initial.

On n’est pas déçus par ce deuxième épisode (la série comptera 4 tomes) qui nous en apprend un peu plus sur le passé de certains d’entre eux, sur les secrets et les fêlures qui les animent.

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« Aucune tombe assez profonde » de Jorge Corona et Skottie Young (éditions Urban Comics)

« Aucune tombe assez profonde » n’est sûrement pas le premier western fantastique, mais celui-là est doublement fantastique : au sens de surnaturel, d’abord (le genre où les vivants affrontent les morts) ; et, surtout, au sens d’éblouissant, de phénoménal. Graphiquement, voilà un album étourdissant ! Western ? Oui, dès la couverture – épatante ! – qui fleure bon les paysages de Monument Valley ; dès les premières pages, aussi, où l’action se situe dans les pas d’une cow-girl souffrante, très souffrante, « à l’article de la mort » pourrait-on dire pour rester dans l’esprit de cette histoire.

Dès le chapitre 2, on quitte le désert pour approcher la mort et, si possible, « tuer la mort ». C’est en tout cas, ce que cherche Ryder : une outlaw toujours habile au révolver et excellente cavalière, mais assagie, reconvertie.

Elle vit en couple et a une petite fille à laquelle elle voue sa vie, désormais. L’ex-légende de l’Ouest n’a pas son pareil pour lutter, affronter, désarmer ou tuer. Rien ne peut l’arrêter, sûrement pas les obstacles a priori infranchissables pour s’introduire dans Cypress : la cité de la mort et « ville du bout du monde » (et le nom d’un vrai cimetière à New York).

Sa détermination nous vaut des pages haletantes, jusqu’à ces rencontres improbables dans l’enfer des enfers, après une drôle de soirée dans un casino flottant : sorte de saloon improbable. Qu’on aime ou non le fantastique, qu’on apprécie ou pas ou les morts-vivants, on est accroché par le dessin, les personnages, les couleurs, le découpage, le montage, le sens du mouvement… Du grand art !

La performance graphique est de tous les instants !  Et pas une case sans décors, pas un décor sans détails qui n’attirent le regard, qui poussent le lecteur à circuler au-delà des personnages, d’autant que les dessins de Jorge Corona sont sublimés par les couleurs signées Jean-François Beaulieu.

Sélection : Didier Quella-Guyot

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