Molière (1622-1673)

Dramaturge, directeur de troupe et acteur français qui a fixé le modèle de la comédie classique et qui incarne l’auteur classique français par excellence.

Si les quelque trente pièces que Molière écrivit se caractérisent par leur diversité — farces, comédies d’intrigues, comédies-ballets, grandes comédies, pièces à machines —, elles trouvent leur unité dans le rire. Le comique moliéresque a traversé les siècles : certains de ses personnages sont devenus des archétypes, ses pièces sont très souvent mises en scène et il tient une place majeure dans l’enseignement actuel.

Les débuts
Succès et controverses
La Fin de Molière

Les débuts

De son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, Molière naquit à Paris le 15 janvier 1622. Il était le fils d’un bourgeois parisien aisé possédant la charge de tapissier du roi, c’est-à-dire de fournisseur officiel de la Cour. Son enfance fut marquée par des deuils successifs, dont le plus pénible fut la mort de sa mère, en 1632. Il fut élève des jésuites au collège de Clermont, que fréquentaient les fils de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie, puis fit des études de droit pour devenir avocat (1640), titre qui permettait alors l’achat d’une charge dans la justice ou l’administration.

L’Illustre-Théâtre

Molière ne profita pourtant pas de la possibilité de promotion sociale qui lui était offerte car, dès 1643, il décida, contre l’avis de son père, de devenir comédien. La même année, avec sa maîtresse Madeleine Béjart, la famille de celle-ci et quelques autres comédiens, il fonda une compagnie théâtrale, baptisée l’Illustre-Théâtre.

L’année suivante, il prit la direction de la compagnie, sous le pseudonyme de Molière, qu’il choisit pour des raisons jamais élucidées.

L’Illustre-Théâtre connut d’abord un semblant de succès : installé sur la rive gauche, dans le jeu de paume des Métayers, il ouvrit ses portes le 1er janvier 1644 et bénéficia de l’incendie qui avait dévasté la salle des comédiens du théâtre du Marais, l’une des deux troupes concurrentes avec celle de l’Hôtel de Bourgogne. Il fit ainsi salle comble pendant près de huit mois, mais, dès octobre 1644, après la réouverture du théâtre du Marais, la situation se dégrada rapidement et ce fut bientôt la débâcle financière : Molière fut emprisonné pour dettes en août 1645.

Tournées en province

Une fois Molière libéré, la troupe rejoignit en province celle de Dufresne avec le souci d’éviter les erreurs du passé. Commença alors une longue période de vie provinciale, au cours de laquelle la nouvelle troupe élargie (dont Molière devint le chef en 1850) voyagea à travers le royaume, se fixant un temps dans le Languedoc, où elle bénéficia de l’appui du duc d’Épernon, puis du comte d’Aubijoux. De cette époque itinérante date — si l’on excepte les deux farces la Jalousie du Barbouillé (v. 1646) et le Médecin volant (v. 1647) — la première vraie pièce écrite par Molière, l’Étourdi ou les Contretemps (v. 1655), qui fut créée à Lyon. La même année, le dramaturge gagna la protection du prince de Conti, mais la perdit quatre ans plus tard, après que l’ancien libertin se fut converti à la plus grande austérité religieuse. Privés de soutien (le comte d’Aubijoux était mort en 1657), les comédiens décidèrent de rentrer à Paris.

Succès parisiens

Grâce à l’aide de Monsieur, frère du roi, la troupe eut alors la chance de pouvoir jouer devant Louis XIV et sa cour, et obtint de partager avec les Comédiens-Italiens la salle du petit Bourbon. Après y avoir représenté plusieurs tragédies, ainsi que ses deux comédies (l’Étourdi et le Dépit amoureux, qui avait été créée en 1656), Molière remporta un véritable triomphe en 1659 avec les Précieuses ridicules, reprise d’une pièce créée auparavant à Béziers. Voir Préciosité!; Salons littéraires.

En 1660, contraints de quitter la salle du petit Bourbon, les comédiens s’installèrent définitivement au Palais-Royal. Après Sganarelle ou le Cocu imaginaire (1660), Molière, soucieux de réussir dans le genre noble, écrivit Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux (1661), «!comédie héroïque» qui n’obtint aucun succès. Il se consacra alors essentiellement au comique : à partir de cette date et jusqu’à sa mort, il écrivit et mit en scène en moyenne deux pièces comiques par an. L’École des maris (1661) et surtout la comédie-ballet commandée par Nicolas Fouquetles Fâcheux (1661), firent de lui un écrivain à la mode.

Succès et controverses

 L’École des femmes

Invité à la cour pour y faire représenter ses œuvres, Molière suscita dès ce moment des jalousies, qui se manifestèrent avec un éclat particulier au lendemain de la création d’une de ses comédies les plus réussies, l’École des femmes (1662). Le sujet de cette pièce, qui soulevait des questions importantes (l’institution du mariage et l’éducation des filles), tranchait nettement avec les thèmes habituels de la farce ou de la comédie à l’italienne. Innovation littéraire en même temps que critique originale de la société du temps, elle irrita certains auteurs concurrents autant qu’elle choqua les tenants de la morale traditionnelle. Elle eut cependant un succès retentissant, ce qui ne contribua pas à apaiser le débat.

La fameuse querelle de l’École des femmes, qui occupa toute l’actualité littéraire de l’année 1663, avec ses libelles, ses textes satiriques et ses perfidies (on accusa notamment le dramaturge d’entretenir des relations incestueuses avec Armande Béjart, la fille de Madeleine, qu’il avait épousée en 1662, et qu’on présentait comme sa propre fille), témoigne de l’extrême violence des adversaires de Molière. Celui-ci répliqua en 1663 par deux pièces ayant valeur de manifestes (la Critique de «!l’École des femmes!» et l’Impromptu de Versailles) dans lesquelles il se mit en scène avec ses comédiens pour tourner en dérision ses détracteurs (petits marquis, fausses prudes et comédiens de l’Hôtel de Bourgogne). Les détracteurs ne cessèrent pas leurs attaques pour autant, mais Molière jouissait de la protection du roi et recevait régulièrement de lui des commandes pour les fêtes de la cour, en particulier les grandes fêtes dites des «!Plaisirs de l’Île enchantée!», pour lesquelles Molière écrivit une comédie galante, la Princesse d’Élide, dont Jean-Baptiste Lully signa la musique.

Tartuffe et Dom Juan

En 1664, une première version du Tartuffe ou l’Imposteur, pièce qui met en scène un personnage de dévot hypocrite, fut interdite à la demande de l’archevêque de Paris. L’année suivante, Dom Juan ou le Festin de pierre, qui reprenait certains des thèmes de Tartuffe (l’impiété et l’hypocrisie), fut abandonné après la relâche de Pâques, malgré cinq semaines de triomphe.

La bataille de Tartuffe dura près de cinq ans. Remaniée, la pièce fut à nouveau interdite en août 1667, mais on la représenta chez le Grand Condé, qui soutenait Molière, en présence du frère du roi, preuve du crédit dont le dramaturge jouissait auprès de certains membres influents de la cour. En 1664, Louis XIV lui-même avait accordé à Molière une pension et parrainé son enfant!; l’année suivante il avait décidé de prendre officiellement Molière sous sa protection, décernant à ses comédiens le titre de «!troupe du roi!». En 1669, l’interdiction finit par être levée, et les nombreuses représentations du Tartuffe donnèrent la plus forte recette jamais enregistrée au théâtre du Palais-Royal.

Divertissements royaux

Malgré les difficultés rencontrées, les années 1660 furent exceptionnellement fertiles pour Molière, qui écrivit et fit représenter le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux (1666), l’Avare (1668), ainsi que des pièces avec musique créées pour les divertissements de la cour (la Princesse d’Élide, 1664; l’Amour médecin ou les Médecins, 1665; Mélicerte, 1666; la Pastorale comique, 1667!; le Sicilien ou l’Amour-peintre, 1667; Amphitryon, 1668!; George Dandin ou le mari confondu, 1668; Monsieur de Pourceaugnac, 1669). De 1664 à 1671 le roi commanda en tout à Molière quinze pièces de théâtre, et la troupe ne cessa de faire des séjours à la cour, y donnant près de deux cents représentations (les Amants magnifiques, 1670!; le Bourgeois gentilhomme, 1670; Psyché, 1671!; la Comtesse d’Escarbagnas, 1671).

Ce sont ces liens privilégiés avec la cour qui expliquent l’importance dans l’œuvre de Molière du genre de la comédie-ballet, spectacle mêlant musique, danse et théâtre.

Fin de Molière

Cependant, Molière fut bientôt supplanté par Lully, promoteur de l’opéra en France, qui obtint, en 1672, un privilège royal lui accordant l’exclusivité de la représentation des œuvres chantées et dansées. Par faveur spéciale, le roi autorisa néanmoins Molière à intégrer des scènes musicales et chorégraphiques dans le Malade imaginaire, créé au Palais-Royal le 10 février 1673.

La pièce fut un triomphe. Lors de sa quatrième représentation, le 17 février, Molière, qui interprétait le rôle principal, fut victime d’un malaise cardiaque. Transporté d’urgence, il mourut sans avoir pu recevoir les derniers sacrements, et ne put être inhumé que grâce à l’intercession d’Armande Béjart auprès du roi.

En 1680, par ordre du roi, la troupe de Molière fut réunie avec sa concurrente de l’Hôtel de Bourgogne pour fonder la Comédie-Française.