Lettre à Willy

Cher Willy

Une dizaine de coups de téléphone, trois heures de visite à ton domicile, un repas pris en commun et un mail. Voilà à quoi se résume le croisement de ta vie et de la mienne.

Au hasard de mes recherches régulières dans Goggle pour détecter les nouveautés consacrées à La Fontaine, je suis tombé sur un de tes tableaux: La Tortue et les deux Canards .

Aractingi ? Connais pas. Pourtant, tes illustrations sont tellement belles, tellement colorées, elles accrochent l’oeil de façon tellement forte. Comme dit un de mes amis peintres, « Elles tiennent le mur ».

C’est décidé, le site La Fontaine sera refait avec tes toiles, Monsieur Aractingi. Il me faut absolument trouver un moyen de te contacter, toi ou un de tes héritiers, car d’abord, es-tu toujours vivant ? Je n’en sais rien.

Google, voulant absolulement que l’on se connaisse, me donne sans difficultés ton adresse et ton numéro de téléphone. Un appel, dix minutes de conversation et une impression très forte. De l’autre côté de la ligne, un homme solide, qui comprend immédiatement ce que je souhaite, qui me donne oralement un accord de prinicpe, mais qui souhaite voir ce que je propose, et surtout, qui souhaite me voir, pour que nous puissions discuter ensemble. Rendez vous est pris pour le mercredi 21 mai à midi. Je me rends à ce rendez-vous avec mon ami Manu qui a accepté de travailler avec moi sur cette nouvelle version. Trois heures de rencontre, de discussion, d’humour, de La Fontaine et de plaisir. Je ne le savais pas encore, mais trois heures qui marqueront ma vie à tout jamais. Nous repartons de chez toi avec ton accord ferme et définitif, des propositions, des projets, un livre dédicacé et surtout une impression de journée bien remplie et bien riche. Je nous revois encore dans le train, Manu et moi, en repartant. L’impression surtout que ce 21 mai était un début. Le début de beaucoup de rencontres qui émailleront notre travail, car tu tiens à être présent pour la construction de ce site qui est en train de devenir le site La Fontaine/Aractingi.

Retour à la maison, travail, discussions par téléphone encore cinq ou six fois. Je reçois de ta part une autorisation manuscrite de publier ses toiles.

Samedi 21 juin, juste un mois après notre première rencontre, tu m’appelles. Tu as revu le site chez son amie Marcelle et tu as des choses à me dire. Tu es ravi de la tournure que prennent les choses et ton cerveau va encore plus vite que le nôtre.

 » Et si on faisait des cartes postales, Jean Marc, des vraies, sur papier. Elles seraient vendues sur le site.

 » Il faudrait aussi que tu mettes plus en valeur le fait que mes toiles sont à vendre.

 » Mon expo à Beyrouth a été une réussite. Tu trouveras l’article qui en parle sur l’Orient-Le Jour

 » Je pars 15 jours à Barcelone, puis en Provence, puis chez un ami dans le Calvados. On pourra se rencontrer là bas vers le 15 août. Ou je viendrai chez toi, comme ça, on pourra regarder le site et ce qu’il reste à faire. Et je ferai la connaissance de ton épouse.

 » On fera le lancement du site en septembre, au moment de la rentrée.

« je suis content que Manu et toi travailliez avec moi, on va devenir des amis, c’est bien.
 » Allez, au revoir Jean-Marc. Dès mon retour de Barcelone, je t’enverrai les trois photos de mon expo parues dans l’Orient. »

Et puis tu as raccroché pour aller te reposer, dormir une heure ou deux avant de faire ta valise. Le lendemain matin, tu es parti en Espagne. Et Manu et moi, on reprend notre travail de création du site. On remet tout en place, on continue pour que tout soit prêt à la rentrée de septembre.

Et puis le 3 juillet, vers 19 heures, arrive un mail. Rien d’inquiétant, des mails, j’en reçois des centaines chaque jour, des milliers par mois, ce n’est pas un mail qui va m’inquiéter. J’y jette un oeil rapide. Et là, je m’asseois de stupeur. Ce mail, le voici, intégralement:

Cher Monsieur,

Je suis la dame chez qui vous étiez venu avec Willy Aractingi pour le site La Fontaine.

J’ai malheureusement une très triste nouvelle à vous apprendre: Willy Aractingi est décédé brusquement en Espagne, suite à une hémorragie cérébrale, Jeudi dernier.

Ne donnez donc plus mon adresse e mail aux personnes qui voudraient communiquer avec lui.

C’est vraiment très malheureux. La seule consolation est qu’il n’a pas souffert, et n’aurait jamais supporté d’etre paralysé, surtout du coté droit.

Je suis à votre disposition pour d’autres renseignements

Marcelle A.

Et moi, je reste assis à regarder mon écran, à ne pas comprendre. Et je n’ai toujours pas compris d’ailleurs.

Voilà comment tout s’arrête. Ou comment tout commence, je ne sais pas encore…

Adieu, Willy. Je ne t’ai pas connu longtemps, mais je suis heureux de t’avoir connu, ne serait-ce qu’un peu, si peu…
J’aurais tant voulu continuer à travailler avec toi, mettre au point tout ce que nous avions prévu, voire plus, car cette collaboration aurait été plus loin, j’en suis sûr.
Je ne supporte pas la mort. Je ne supporte pas que l’on se soit donné rendez-vous en Août et que tu te décommandes si brusquement. J’espère que ce site continuera à vivre avec tes toiles, et avec ton souvenir que je garderai longtemps au fond de moi.

Pour terminer, je ne peux m’empêcher de recopier la dédicace que tu as écrite sur mon exemplaire de ton livre:

« A Jean Marc et Laurence, une amitié grandissante. Willy Aractingi Mai 2003. »

Tu vas me manquer, Willy. Tu me manques déjà.

JMB, le 10 juillet 2003.