Encore une fable parlant de la ruse. Contrairement à la poésie précédente, la matoiserie du cheval n’est pas machiavélique. Elle ressemble plutôt à celle du coq dans « Le Coq et le Renard » (Livre II, fable 15). Mais dans cette autre pièce, c’était celui qui se croyait le plus fin qui était pris, tandis qu’ici, notre renard, sans doute échaudé part les fables précédentes, envoie le loup au danger.
La Fontaine s’inspire ici de Mathurin Régnier (Chartres, 1573 – Rouen, 1613). Le poète rival de Malherbe a en effet écrit un apologue semblable, mais avec d’autres personnages, dans « Satire » (III). Le même sujet a aussi été commenté par Gilles Ménage (Angers, 1613 – Paris, 1692) dans « Modi di dire italiani » (1685). Cet érudit tenait le texte de Guazzo et d’Ammirato.
Une anecdote nous éclaire sur la naissance publique de cette fable : à la fin de la séance de réception de Boileau à l’Académie française (1er juillet 1684), le Directeur, l’abbé de La Chambre, demanda si quelqu’un avait une oeuvre nouvelle à présenter à l’assemblée. Plusieurs auteurs se succédèrent. La Fontaine termina en présentant une de ses nouvelles fables, « Le Renard, le Loup et le Cheval ». Les auditeurs, contents, applaudirent longuement et réclamèrent une seconde lecture.
Chamfort rapproche cette fable du « Cheval et le Loup » (Livre XI, fable 3)
Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu’il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice : « Accourez,
Un animal paît dans nos prés,
Beau, grand ; j’en ai ma vue encore toute ravie.
– Est-il plus fort que nous ? dit le loup en riant.
Fais-moi son portrait, je te prie.
– Si j’étais quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j’avancerais la joie
Que vous aurez en le voyant.
Mais venez. Que sait-on ? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.»
Ils vont ; et le cheval, qu’à l’herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,
Fut presque sur le point d’enfiler la venelle.
«Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle.»
Le cheval, qui n’était dépourvu de cervelle,
Leur dit : «Lisez mon nom, vous le pouvez, Messieurs ;
Mon cordonnier l’a mis autour de ma semelle.»
Le renard s’excusa sur son peu de savoir.
«Mes parents, reprit-il, ne m’ont point fait instruire ;
Ils sont pauvres et n’ont qu’un trou pour tout avoir ;
Ceux du loup, gros Messieurs, l’ont fait apprendre à lire.»
Le loup, par ce discours flatté,
S’approcha. Mais sa vanité
Lui coûta quatre dents : le cheval lui desserre
Un coup ; et haut le pied. Voilà mon loup par terre,
Mal en point, sanglant et gâté.
« Frère, dit le renard, ceci nous justifie
Ce que m’ont dit des gens d’esprit :
Cet animal vous a sur la mâchoire écrit
Que de tout inconnu le sage se méfie. »
Encor : Variante : « encore » (1694). Il s’agit évidemment d’une erreur d’impression.
Madrés : Intelligent et retors.
Venelle : ruelle. – Enfiler la venelle : s’enfuir discrètement comme si on empruntait une petite rue dérobée.
Nous trouvons la même expression dans « Belphégor » : « Il fut contraint d’enfiler la venelle ».
Un trou : pas grand chose, juste un terrier.
Desserrer : décocher, mais dit d’une manière noble et poétique.
Haut le pied : Expression courante à l’époque pour dire s’enfuir. « Buvez un coup et haut le pied » (Furetière.)
Gâté : Mal en point, blessé.