Le bois dont il avait emmanché sa cognée.
Cette perte ne put sitôt se réparer
Que la forêt n’en fût quelque temps épargnée.
L’homme enfin la prie humblement
De lui laisser tout doucement
Emporter une unique branche
Afin de faire un autre manche.
« Il irait employer ailleurs son gagne-pain ;
Il laisserait debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes. »
L’innocente forêt lui fournit d’autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche son fer :
Le misérable ne s’en sert
Qu’à dépouiller sa bienfaitrice
De ses principaux ornements.
Elle gémit à tous moments :
Son propre don fait son supplice.Voilà le train du monde et de ses sectateurs .
On s’y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d’en parler. Mais que de doux ombrages
Soient exposés à ces outrages,
Qui ne se plaindrait là-dessus !
Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode,
L’ingratitude et les abus
N’en seront pas moins à la mode
Sa cognée, c’est-à-dire sa hache. Voir aussi « Le Bûcheron et Mercure » : « Un bûcheron perdit son gagne-pain, / C’est sa cognée. […] » .
Voilà le train du monde et de ses sectateurs Voilà comment vivent ceux qui sont dans le monde ainsi que ceux qui les imitent en suivant leurs manières de faire.
Hélas, j’ai beau crier : Nous retrouvons le même hémistiche dans « Adonis » : « Hélas ! j’ai beau crier : il est sourd à ma plainte ». Et dans « Le Cerf malade » : « O temps, ô moeurs ! J’ai beau crier / Tout le monde se fait payer. ».
Incommode : Agaçant, importun. La Fontaine semble lassé de dénoncer aussi souvent les tromperies et les ingratitudes.
Les abus : Excès ; selon le dictionnaire de l’Académie (1694), ce mot signifie quelquefois tromperie (d’où « abus de confiance »). Pour d’autres excès, voir « Rien de trop