Certains dangers sautent aux yeux (le Chat pour le Rat, Livre VIII, fable 22, par exemple) ; d’autres sont plus subtils ; un exemple en est donné dans cette fable.
Un torrent tombait des montagnes :
Tout fuyait devant lui : l’horreur suivait ses pas ;
Il faisait trembler les campagnes.
Nul voyageur n’osait passer
Une barrière si puissante :
Un seul vit des voleurs ; et, se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n’était que menace et bruit sans profondeur:
Notre homme enfin n’eut que la peur.
Ce succès lui donnant courage,
Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage
Une rivière dont le cours,
Image d’un sommeil doux, paisible et tranquille,
Lui fit croire d’abord ce trajet fort facile :
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre ; et son cheval le met
A couvert des voleurs, mais non de l’onde noire :
Tous deux au Styx allèrent boire;
Tous deux, à nager malheureux,
Allèrent traverser, au séjour ténébreux,
Bien d’autres fleuves que les nôtres. Les gens sans bruit sont dangereux
Il n’en est pas ainsi des autres.
L’Honneur suivait ses pas: Dans l’édition non corrigée de 1678, la fable commençait ainsi : « D’un bruit au loin porté tombait avec fracas / Un torrent entre des montagnes. /L’image du danger accompagnait ses pas. »
Le Styx: Dans la mythologie grecque, ce fleuve entoure les Enfers et en fait sept fois le tour.
Le Léthé: ce fleuve des Enfers qui apportait l’oubli aux âmes des morts ou l’Achéron. Mais le terme « d’autres » peut avoir aussi un sens divergent, celui de « d’un genre différent ».
Moralité de la fable: A rapprocher de la moralité du « Cochet, le Chat et le Souriceau » (Livre VI, fable 5) : Garde-toi, tant que tu vivras, / De juger les gens sur la mine ».