L’ Ane et le Chien ( Livre VIII – Fable 17)

C’est à nouveau chez Abstémius (dans « Le Chien qui n’a pas secouru l’Ane contre le Loup, parce qu’il ne lui avait pas donné de pain ») que La Fontaine a trouvé la trame de cette fable. La moralité de l’Italien et celle du Français se ressemblent très fort. Notez qu’elle tombe sèchement chez La Fontaine, d’une manière abrupte à laquelle il ne nous a nullement habitués.

Il se faut entr’aider, c’est la loi de Nature
L’âne un jour pourtant s’en moqua :
Et ne sais comme il y manqua;
Car il est bonne créature
Il allait par pays, accompagné du chien,
Gravement, sans songer à rien,
Tous deux suivis d’un commun maître.
Ce maître s’endormit: l’âne se mit à paître.
Il était alors dans un pré
Dont l’herbe était fort à son gré.
Point de chardons pourtant; il s’en passa pour l’heure :
Il ne faut pas être si délicat;
Et faute de servir ce plat
Rarement un festin demeure.
Notre baudet s’en sut enfin
Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,
Luit dit :« Cher compagnon, baisse-toi, je te prie :
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.»
Point de réponse, mot: le roussin d’Arcadie
Craignit qu’en perdant un moment
Il ne perdit un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille :
Enfin il répondit :«Ami, je te conseille
D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;
Car il te donnera, sans faute, à son réveil,
Ta portion accoutumée :
Il ne saurait tarder beaucoup.»
Sur ces entrefaites, un loup
Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.
L’âne appelle aussitôt le chien à son secours.
Le chien ne bouge et dit : «Ami, je te conseille
De fuir, en attendant que ton maître s’éveille ;
Il ne saurait trop tarder: détale vite, et cours.
Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :
On t’a ferré de neuf; et si tu me veux croire,
Tu l’étendras tout plat» Pendant ce beau discours,
Seigneur Loup étrangla le baudet sans remède.J’en conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.

C’est la loi de nature: Nous trouvons le même hémistiche « c’est la loi de Nature » dans « La querelle des Chiens et des Chats », livre XII, fable 8, vers 40).

Si délicat:  Dans « Le Héron » (livre VII, fable 4, vers 27), La Fontaine écrit « Ne soyons pas si difficiles ».

Dîné: On écrivait « dîner » ou « dîné », à l’époque.

Mot: Pas un mot.

L’Arcadie, région de Grèce, au centre du Péloponèse, produisait non des roussins (chevaux de grande taille) mais des ânes. Nous retrouvons ce terme moqueur dans la fable « Le Charlatan », livre VI, fable 19.

Morale: Personnellement, je trouve cette fin un peu plate et le vers faible et un peu boiteux. Mais c’est un avis personnel qui n’engage que moi. (JMB)