Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins,
Sentant son renard d’une lieue,
Fut enfin au piège attrapé.
Par grand hasard en étant échappé,
Non pas franc , car pour gage il y laissa sa queue;
S’étant, dis-je, sauvé sans queue, et tout honteux,
Pour avoir des pareils (comme il était habile ),
Un jour que les renards tenaient conseil entre eux :
«Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queue ? Il faut qu’on se la coupe :
Si l’on me croit, chacun s’y résoudra.
– Votre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe;
Mais tournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra.»
A ces mots il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu;
La mode en fut continuée.
Une lieue: Distance de longueurs variables selon les endroits et les époques mais que l’on évalue aujourd’hui à environ quatre kilomètres.
Franc:Libre, c’est-à-dire exempt de l’impôt (le terme s’emploie aussi pour une ville). Ici, le renard n’est pas exempté de sa redevance, sa queue en l’ occurrence.
Fangeux: Fait de boue épaisse. Voir Phèdre « Pourtant, je la traînerai plutôt à travers la boue et les ronces. » (Appendice du Livre I, 4)
Que nous sert cette queue? A quoi nous sert cette queue. Difficile de ne pas penser au renard blessé et attaqué par les mouches d ’une autre fable « Le Renard, les Mouches et le Hérisson » qui, au vers 12 dira « Et que me sert ma queue ? est-ce un poids inutile ? ».
Écourté: Richelet nous précise que écourter signifie « couper quelques extrémités, comme de la queue, ou des oreilles ». On utilise aussi le terme d’essorillement pour désigner l’action de couper les oreilles, du verbe essoriller ». Pour un animal a qui on a coupé à la fois la queue et les oreilles, le verbe est «courtauder ».