Le petit Poisson et le Pêcheur ( Livre V – Fable 3)

Plusieurs vers de cette fable étaient ou sont devenus des proverbes Petit poisson deviendra grand pourvu que Dieu lui prête vie » ou encore Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras ; l’un est sûr, l’autre ne l’est pas». La deuxième citation se trouve déjà chez Corrozet sous la forme « Mieux vaut un tiens que deux tu l’auras ». Marc Fumaroli cite encore une version espagnole « Mieux vaut un prends que deux je te le donnerai ». (« La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 857). Nous pouvons retrouver ce proverbe, avec des variantes dans diverses langues. Ainsi en Néerlandais « Mieux vaut un oiseau dans la main que deux sur la branche ».
Rappelons-nous, pour en terminer avec ce sujet, que La Fontaine a écrit […] un sou quand il est assuré / Vaut mieux que cinq en espérance. » « Le Berger et la Mer », vers 24, 25).Le poème a été inspiré par un apologue d’Esope « Le Pêcheur et le Picarel ».
La Fontaine reprendra le même thème dans « Le Loup et le Chien maigre ». Dans ce texte, le fabuliste écrira « Autrefois carpillon fretin / Eut beau prêcher, il eut beau dire, / On le mit dans la poêle à frire. » (vers 1-3).
Petit poisson deviendra grand
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie:
Car de le rattraper il n’est pas trop certainUn carpeau, qui n’était encore que fretin,
Fut pris par un pêcheur au bord d’une rivière.
«Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière.»
Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
«Que ferez-vous de moi ? Je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir :
Je serai par vous repêchée;
Quelque gros partisan m’achètera bien cher :
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi, rien qui vaille.
– Rien qui vaille ? Eh bien ! soit, repartit le pêcheur :
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire .»Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras;
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

Je tiens pour moi: Je considère.

C’est folie: Rappelons que La Fontaine était Maître des Eaux et Forêts et qu’une Ordonnance d’août 1669 faisait obligation aux pêcheurs de rejeter, sous peine d’amendes, les poissons trop petits. Le trait est donc particulièrement succulent dans la bouche de celui qui, par sa fonction, devait défendre cette ordonnance.

Il n’est pas trop certain: on n’est pas trop certain.

Fretin: Tout petit poisson (vient de l’ancien français ‘fraindre’ et du latin ‘frangere’ qui signifie ‘briser’ et qui donneront naissance à ‘fret’, débris).

Partisan: Financier chargé de recueillir les impôts et, par extension, symbole de tout riche parvenu.

Tiens: S’écrivait couramment ‘tien’, bien que n’ayant rien avoir avec le possessif.