Le Chat et le Renard (Livre IX – Fable 14)

Nous pouvons trouver cette histoire chez bon nombre d’écrivains, à commencer par l’humaniste allemand Camérarius, (1500 -1574)l’auteur de « La Confession d’Augsbourg » (1530). D’autres suivront Gilbert Cousin («De Vulpe et Fele », « Narrationum Sylva »), Guillaume Haudent (« Trois cent soixante et six apologues d’Esope […], II, 49), Jacques Régnier (« Apologi Phaedrii, I, 28) et Benserade (LXX) où nous trouvons « Le Renard se vantait d’être subtil et fin ; / Le Chat tout au contraire allait son grand chemin / Les Chiens viennent, le Chat dessus un arbre monte, / Et le Renard s’écrie Ha, j’en ai pour mon compte. » La Fontaine, une fois de plus, se moque des causeurs, de ceux qui recherchent la difficulté alors que c’est la solution la plus simple qui peut les sauver. Nous trouvons aussi ici une moquerie de ces faux dévots – mais aussi des beaux parleurs – que l’on trouvait à l’époque sur tous les chemins des pèlerinages. La Fontaine sait se contredire – tout comme la sagesse des nations qui peut aussi bien dire « L’habit ne fait pas le moine » que « Ce sont les belles plumes qui font les beaux oiseaux ». En effet, le fabuliste écrira «Tant il est vrai qu’il faut changer de stratagème » (« Le Renard anglais », Livre XII, fable 23, vers 49).

Le chat et le renard, comme beaux petits saints,
S’en allaient en pèlerinage.
C’étaient deux vrais tartufs, deux archipatelins
Deux francs patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S’indemnisaient à qui mieux mieux.
Le chemin étant long, et partant ennuyeux,
Pour l’accourcir ils disputèrent.
La dispute est d’un grand secours.
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s’égosillèrent.
Ayant bien disputé, l’on parla du prochain.
Le renard au chat dit enfin :
«Tu prétends être fort habile,
En sais-tu tant que moi? J’ai cent ruses au sac.
– Non, dit l’autre; je n’ai qu’un tour dans mon bissac ;
Mais je soutiens qu’il en vaut mille.»
Eux de recommencer la dispute à l’envi.
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.
Le chat dit au renard :« Fouille en ton sac, ami ;
Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr ; pour moi, voici le mien. »
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L’autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.
Partout il tenta des asiles ;
Et ce fut partout sans succès ;
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d’un terrier, deux chiens aux pieds agiles
L’étranglèrent du premier bond.Le trop d’expédients peut gâter une affaire :
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.

Tartuf: Molière immortalisera ce nom dans sa comédie « Le Tartuffe » (ou Tartufe »). Il nomme ainsi le faux dévot hypocrite. Allez donc lire le Tartuffe, si le coeur vous en dit. La pièce complète se trouve sur le site consacré à Molière

Archipatelin : (terme forgé par La Fontaine) très hypocrite, plus encore que le maître Pathelin – qui a extorqué une pièce de drap à un marchand – de la farce médiévale (écrite vers 1464). Le terme « patelin » désigne encore de nos jours un individu hypocrite et d’une douceur insinuante.

Patte-pelu signifie hypocrite, qui a les pattes (rugueuses) recouvertes de poils (pour feindre d’adoucir sa dureté). L’expression était proverbiale.

Disputer : discuter.

A l’envi : à qui mieux mieux.

La noise : ici, discussion avec le sens de querelle (à rapprocher de l’ expression « chercher noise à quelqu’un »).

Brifaut : nom parfois donné par La Fontaine aux chiens de meute (voir aussi « Le Lièvre et la Perdrix », Livre V, fable 17).

La fumée y pourvut: Les chasseurs envoient de la fumée dans le terrier afin d’en faire sortir le renard.