Le Berger et son troupeau (Livre IX – Fable 19)

Fable inspirée d’Abstémius « Le Berger exhortant son troupeau contre le Loup ». Le berger se prend pour un orateur. Par ce début de poème, La Fontaine s’en prend aux monarques qui préfèrent discourir plutôt que d’affronter la réalité François Ier, par exemple, ou Henri III qui, au lieu d’affronter la Ligue s’adonne à l’éloquence devant les Etats généraux. Nous pouvons nous remémorer Machiavel qui, lui aussi, pense que le premier devoir d’un roi est de savoir lever une armée et la conduire au combat. Le roi doit jouer le rôle du roi, l’orateur, celui de l’orateur. Nous retrouvons encore une fois toute la sagesse épicurienne dans la pensée de La Fontaine chacun à sa place et méfiance envers les manipulateurs de mots.

« Quoi ? toujours il me manquera
Quelqu’un de ce peuple imbécile !
Toujours le loup m’en gobera !
J’aurai beau les compter! Ils étaient plus de mille.
Et m’ont laissé ravir notre pauvre Robin;
Robin mouton qui, par la ville
Me suivait pour un peu de pain,
Et qui m’aurait suivi jusques au bout du monde.
Hélas! de ma musette il entendait le son ;
Il me sentait venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton ! »
Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,
Il harangua tout le troupeau,
Les chefs, la multitude, et jusqu’au moindre agneau.
Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffirait pour écarter les loups.
Foi de peuple d’honneur, ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu’un terme
« Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton. »
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut et leur fit fête.
Cependant, devant qu’il fût nuit,
Il arriva nouvel encombre.
Un loup parut : tout le troupeau s’enfuit.
Ce n’était pas un loup, ce n’en était que l’ombre.
Haranguez de méchants soldats :
Ils promettent de faire rage ;
Mais, au moindre danger, adieu tout le courage ;
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

Imbécile : stupide, mais aussi faible.Robin: Voir « Le Quart Livre » de Rabelais, au chapitre VI : « Vous avez, ce croy-je, nom Robin mouton ». (« Rabelais – Œuvres complètes » : Edition établie et annotée par Jacques Boulenger, revue et complétée par Lucien Scheler – NRF – Gallimard ; Bibliothèque de la Pléiade, 1955, p. 155).
Le lien placé sur Quart Livre vous renvoie au texte intégral de Rabelais. C’est là l’avantage du format HTML…Guillot: Diminutif courant de Guillaume. On retrouve ce nom dans « Le Loup devenu berger » (Livre III, fable 3, vers 10 et 14).Un terme:  Il s’agit d’une borne en pierre destinée à limiter les champs. C’est aussi une statue sans pied représentant le  dieu Terme qui, dans l’Antiquité, servait au même usage.

Méchants : mauvais.