Aux brebis de son voisinage,
Crut qu’il fallait s’aider de la peau du renard,
Et faire un nouveau personnage.
Il s’habille en berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d’un bâton,
Sans oublier la cornemuse.
Pour pousser jusqu’au bout la ruse,
Il aurait volontiers écrit sur son chapeau:
«C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau.»
Sa personne étant ainsi faite,
Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l’herbette,
Dormait alors profondément;
Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette:
La plupart des brebis dormaient pareillement.
L’hypocrite les laissa faire;
Et pour pouvoir mener vers son fort les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu’il croyait nécessaire.
Mais cela gâta son affaire,
Il ne put du pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, le chien, le garçon.
Le pauvre loup dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,
Ne put ni fuir, ni se défendre.
Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre
Quiconque est loup agisse en loup:
C’est le plus certain de beaucoup
S’aider de la peau du renard: Agir avec ruse. Expression proverbiale du temps de La Fontaine qui fait référence à la ruse du renard. Elle remonterait au moins à Plutarque qui écrivait dans « Les vies des hommes illustres », chapitre XI « Quand la peau du lion n’y peut fournir, il y faut coudre aussi celle du renard. Jacques Schiffrin note que dans sa « Lettre à Monsieur de Turenne », La Fontaine écrit « Quoi ! la bravoure et les matoiseries ?… / Vous savez coudre . . . / Peau de lion avec peau de renard » (« La Fontaine – OEuvres complètes, tome I » ; préface par E. Pilon ; édition établie et annotée par R. Groos et J. Schiffrin ; NRF Gallimard ; bibliothèque de la Pléiade ; 1954, p. 692).Un hoqueton: Une casaque paysanne faite de grosse toile, courte et sans manches (le mot provient de l’arabe al-qoton, signifiant « le coton »).
La houlette est ce bâton de berger se terminant à une extrémité par un petit fer en forme de bêche (pour envoyer des mottes de terre aux moutons trop aventureux) et à l’autre par un crochet permettant de saisir les animaux par une patte.
La cornemuse: Les bergers utilisaient couramment cet instrument de musique à vent composé de tuyaux à anches et d’une outre destinée à emprisonner l’air qui sera ensuite libéré au gré du musicien.
Guillot: Diminutif de Guillaume. On le retrouve souvent chez La Fontaine, par exemple dans « Le Berger et son troupeau » (Livre IX, fable 19, vers 12 et 23) mais aussi dans un conte « Le baiser rendu » (troisième partie, conte 9, vers 1, 5, 10 et 11).
Le sycophante: Le sens de fourbe, trompeur est déjà donné par les comiques latins – dont Plaute – à ce mot d’origine grecque désignant les délateurs professionnels
La musette: Désigne ici la cornemuse.
Le fort: Le repaire d’une bête sauvage.
Que quiconque est loup agisse en loup: La Fontaine reprendra le thème dans son opéra « Le Florentin » « Car un loup doit toujours garder son caractère» écrira-t-il au vers 5.