Jupiter et le Passager (Livre IX – Fable 13)

La fable « Le Trompeur », d’Esope, a été imitée, en 1547 par Haudent (« D’un pauvre Homme et des Larrons »). La Fontaine empruntera l’histoire au premier tandis que le second lui fournira le détail, absent chez le fabuliste grec, des os brûlés.
Notons le début de fable très pompeux. La Fontaine s’y moque du style ampoulé de nombreux orateurs de son temps. Nous pourrons, grâce à « Jupiter et le Passager », affiner notre compréhension de la conception que se faisait La Fontaine des dieux (voir à ce sujet « Le Soleil et les Grenouilles » (Livre VI, fable 12) ou encore, par exemple, « Le Statuaire et la statue de Jupiter » (Livre IX, fable 6).
Le thème de la dette non honorée n’est pas sans rappeler « Comment Panurge loue les debteurs et emprunteurs » (« Le Tiers Livre », chapitre III), celui de la vengeance nous fait penser au «Dépositaire infidèle » de La Fontaine (Livre IX, fable 1), mais dans la présente fable, Jupiter se venge durement.

O combien le péril enrichirait les dieux,
Si nous nous souvenions des voeux qu’il nous fait faire !
Mais le péril passé, l’on ne se souvient guère
De ce qu’on a promis aux Cieux ;
On compte seulement ce qu’on doit à la terre.
« Jupiter, dit l’impie, est un bon créancier ;
Il ne se sert jamais d’huissier.
– Eh ! qu’est-ce donc que le tonnerre ?
Comment appelez-vous ces avertissements ? »
Un passager pendant l’orage,
Avait voué cent boeufs au vainqueur des Titans.
Il n’en avait pas un: vouer cent éléphants
N’aurait pas coûté davantage.
Il brûla quelques os quand il fut au rivage :
Au nez de Jupiter la fumée en monta.
«Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu ; le voilà :
C’est un parfum de boeuf que ta grandeur respire.
La fumée est ta part, je ne te dois plus rien.»
Jupiter fit semblant de rire ;
Mais, après quelques jours, le dieu l’attrapa bien,
Envoyant un songe lui dire
Qu’un tel trésor était en tel lieu. L’homme au voeu
Courut au trésor comme au feu.
Il trouva des voleurs; et n’ayant dans sa bourse
Qu’un écu pour toute ressource,
Il leur promit cent talents d’or
Bien comptés et d’un tel trésor :
On l’avait enterré dedans telle bourgade.
L’endroit parut suspect aux voleurs ; de façon
Qu’à notre prometteur  l’un dit:« Mon camarade,
Tu te moques de nous; meurs et va chez Pluton
Porter tes cent talents en don. »

Le tonnerre: On se souviendra que Jupiter était le maître de la foudre.

Vainqueur des Titans: Jupiter est le vainqueur des Titans, ces divinités primitives qui, voulant escalader l’Olympe, furent foudroyés par Jupiter.

La fumée en monta:  Dans l’Antiquité, de nombreux peuples offraient des sacrifices aux dieux. Ces offrandes, sous forme de fruits ou d’animaux étaient brûlées sur des bûchers. Les dieux étaient sensés en recevoir le parfum.

Sire Jupin : appellation familière pour Jupiter.

Cent talents d’or  : ce montant évoque une somme importante ; néanmoins, elle est difficile à estimer puisque la valeur de cette monnaie varie à la fois d’un pays (d’Orient) à l’autre mais aussi selon les époques. On peut cependant l’estimer grossièrement à 1500 kilos d’or).

Prometteur : terme ironique pour « qui promet beaucoup mais ne tient pas ». En Wallonie, on parle d’un « prometteur de beaux jours ».