L’ Astrologue qui se laisse tomber dans un puits ( Livre II – Fable 13)

Cette fable est inspirée par Esope. Il est probable que La Fontaine ait connu ce texte par l’intermédiaire du pseudo-Babrias et de Diogène Faërne « Vie de Thalès », livre VIII). Mais plusieurs auteurs travailleront le même thème. On peut relire, par exemple, l’adaptation qu’en a faite Montaigne « Essai », II, 12, « Folio » n° 290, p. 267). Mais l’origine est peut-être à rechercher chez Platon (« Théétète », 174 a-d) dans une aventure que le philosophe attribue à Thalès.
La Fontaine aborde ici un problèmes souvent discuté au XVIIe siècle, celui de l’astrologie. Ainsi Bossuet fait allusion à l’apparition d’une comète dans son sermon du 2 février 1666 et en profite pour dénoncer tous les devins (« Soumission aux volontés de Dieu »).
Le fabuliste cite de nombreux exemples et contre-exemples puis prend nettement position dans la querelle. Il affirmera que seule la raison est à la base de la connaissance (« Or, du hasard, il n’est point de science »).
Il reprendra le thème dans « L’horoscope » (Livre VII, fable 16).

Un astrologue un jour se laissa choir
Au fond d’un puits. On lui dit : « Pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? »
Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d’entendre dire
Qu’au Livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre qu’Homère et les siens ont chanté,
Qu’est-ce que le hasard parmi l’antiquité,
Et parmi nous la Providence ?
Or du hasard, il n’est point de science :
S’il en était, on aurait tort
De l’appeler hasard, ni fortune), ni sort,
Toutes choses très incertaines.
Quant aux volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu’avec dessein,
Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l’esprit
De ceux qui de la Sphère et du Globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables ?
Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapables ?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu’ils soient venus ?
C’est erreur, ou plutôt, c’est crime de le croire.
Le firmament se meut ; les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d’éclairer,
D’amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l’univers ?
Charlatans, faiseurs d’horoscope,
Quittez les cours des princes de l’Europe;
Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps.
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m’emporte un peu trop : revenons à l’histoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C’est l’image de ceux qui bâillent aux chimères ,
Cependant qu’ils sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

Un astrologue: Pour nous, un astrologue est un personnage qui lit l’avenir dans les astres. A l’époque de La Fontaine cependant, on ne faisait pas la distinction entre astrologie et astronomie.

Au-dessus de ta tête? Au-delà de tes pauvres pensées.

Sans aller plus avant: Sans chercher plus loin.

Homère et les siens: Homère n’a jamais parlé du livre du destin. D’autres auteurs après lui l ’ont fait (Virgile, « Enéide », livre I, vers 262) ou Cyrano de Bergerac. La Fontaine a probablement voulu utiliser une image.

Fortune: Classiquement, la Fortune est la chance, bonne ou mauvaise.

Ces biens prévenus: Dont nous sommes prévenus d’avance qu’ils vont nous arriver.

Devant: Avant.

Quittez les cours.. Sous Catherine de Médicis (1519-1589), à la suite de l’affaire des Poisons, un édit chassera de France tous les devins (1682). Ce même édit interdira à toute personne autre que professeurs de chimie, médecins ou apothicaires de posséder un laboratoire.

Le souffleur était l ‘alchimiste qui attisait son feu avec un soufflet. Je crois me souvenir que le terme souffleur était réservé aux moins expérimentés parmi les alchimistes.

Speculateur: Revenons à l’histoire de cet observateur, c’est-à-dire de cet astrologue.

Ceux qui baillent: Confusion entre bâiller (de fatigue) et bayer (ou béer), c’est-à-dire rester la bouche ouverte. L’expression la plus proche de celle employée par La Fontaine est « bayer aux corneilles ».

Les chimères sont des êtres monstrueux composées de parties d’animaux différents (tête et poitrail du lion, queue du dragon, ventre de chèvre) et crachant des flammes.

Soit pour eux, soit pour leurs affaires: Voir aussi « Les souhaits » : « … étant aussi chanceux / […], et que sont tous ceux / Qui souhaitent toujours et perdent en chimères / Le temps qu’ils feraient mieux de mettre à leurs affaires. » ( vers 54-57).