Les voleurs et l’Ane. (Livre I – Fable 13)

Comme la précédente, cette histoire fait référence à la situation politique de la France au XVIIe siècle et plus spécialement aux guerres dans les Balkans. Elle est inspirée d’Esope (« Le Lion et l’Ours ») mais a été traitée par maints auteurs avant La Fontaine Gilles Corrozet, en 1542 puis Guillaume Haudent en 1547 remplacèrent les premiers le lion, l’ours et l’âne d’Esope par trois personnages humains.

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient :
L’un voulait le garder; l’autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,
Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron
Qui saisit maître Aliboron.
L’âne, c’est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel ou tel prince,
Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux, j’en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.
De nul d’eux n’est souvent la province conquise :
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

L’autre le voulait vendre: Nous avons déjà rencontré cette tournure de phrase (par exemple, dans la « Préface » de La Fontaine, nous trouvons « Cébès l’alla voir le jour de sa mort » pour « alla la voir » ou encore dans le titre de la fable 3 du Livre I « La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf » ou dans « La Besace » (I, 7, vers 13) « Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre ». Pour rappel, dans la syntaxe classique, le pronom personnel du deuxième verbe se place avant le premier.

Aliboron: Il s’agissait au départ du nom d’un savant, donné bientôt aux sots. Il devint courant pour nommer les ânes.

Transylvain: La Transylvanie est une région de l’actuelle Roumanie, située à l’ intérieur de l’arc des Carpathes. A l’époque, elle était sous influence turque. Les Transylvains en sont les habitants. Il existait de sérieuses craintes de guerre entre la Hongrie et l’Empire qui lorgnait vers la Transylvanie.

Un quart: Un quatrième voleur (terme vieilli).

Net: On prononçait indifféremment net en faisant ou non entendre le t final

Cette fable fait penser à une autre pièce de La Fontaine « L’Huître et les Plaideurs », dans laquelle un troisième larron rend la justice en gobant lui-même l’huître revendiquée par les deux plaignants.