Le Loup et l’Agneau (Livre I – Fable 10)

Phèdre (I, 1) a recueilli cette fable chez Esope. Elle a ensuite été traduite en français pour les écoles de Port-Royal par Le Maître de Sacy. C’ est ainsi qu’elle inspirera La Fontaine. Tristan l’Hermite qui, dans un récit qu’il fait à un petit prince malade, change, à la demande de son petit auditeur, la fin du texte afin de la rendre plus agréable. Dans la fable précédent, le rat des champs est effrayé par un bruit. Ici, le bruit a pris la forme d’un loup qui, non content de faire peur, tente de justifier l’acte qu’il va commettre.
Dans sa présentation de la fable, Thérèse indiquait quelques phrases d’ analystes parfaitement intéressantes. Je les retranscris ci-dessous telles quelles. J’ajoute seulement que Napoléon, exilé à l’île de Sainte-Hélène, trouvait que ce poème péchait « dans son principe et sa morale. » « mémorial de Ste-Hélène », Bourdin, 1842, cité dans « La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 821). On peut s’étonner d’une telle réaction venant de cet homme de guerre.
Le terme de « procès » employé à la fin de la fable peut faire réfléchir en quoi elle peut exposer réellement un procès.  » La Fontaine fixe en ses vers les circonstances respectives de ceux qui sont dans le récit accusateur (le Loup) et défenseur (l’Agneau) plaidant la cause de la victime (le Loup) face à l’agresseur (l’ Agneau) afin que le lecteur soit le juge de cette cause » (Patrick Goujon, Le Fablier, N°3 )  » […] la prétention du Loup qui veut avoir raison dans son injustice, et qui ne supprime tout prétexte et tout raisonnement que lorsqu’il est réduit à l’absurde par la réponse de l’Agneau. » (Chamfort)  » […] « Le Loup et l’Agneau », cette merveille, pas un mot de trop ; pas un trait, pas un des propos du dialogue, qui ne soit révélateur. C’est un objet parfait. » A. Gide (Journal 1939-1949, Bibliothèque de La Pléiade)

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Un agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
-Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
-Comment l’aurais-je fait si  je n’étais pas né ?
Reprit l’agneau ; je tette encor ma mère
-Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. -C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Titre: La Fontaine lui-même fera allusion à cette fable dans « Contre ceux qui ont le goût difficile » (Livre II, fable I, vers 10) « J’ai fait parler le loup et répondre l’agneau ». Même allusion dans « Le Bûcheron et Mercure » (Livre V, fable 1, vers 23-25) « J’oppose quelquefois, par une double image, / Le vice à la vertu, la sottise au bon sens, / Les agneaux aux loups ravissants, / […] ».

Tout à l’heure: A l’instant.

Je me vas: « Tous ceux qui savent écrire et qui ont étudié, disent « je vais » […] mais toute la cour dit « je va », et ne peut souffrir « je vais », qui passe pour un mot provincial ou du peuple de Paris » (Vaugelas). Je me vas forme dite progressive marquant la continuité de l’action je suis en train de me désaltérer.

Pas ancienne mesure de longueur (de la valeur approximative… d’un pas)

Si: Puisque.

Il faut que je me venge: Nous trouvons un développement différent dans le manuscrit de Conrart « – Tu la troubles, reprit cette bête cruelle. / Ne me cherche pas de raison ; / Car tout à l’heure il faut que je me venge. »