Deux sources à cette fables la version d’Esope (« Le Corbeau et le Renard ») et celle de Phèdre (Macédoine – 10 avant J.-C. – vers 54 après J.-C., auteur de vingt-trois fables imitées d’Esope). La version du fabuliste latin (Livre I, 13) a été traduite en français par Sacy en 1647.
Sa moralité était celle-ci « Cette fable fait voir ce que peut l’esprit, et que la sagesse est toujours la plus forte ». Une fois de plus, cette pièce a été l’objet d’une virulente critique de la part de J.-J. Rousseau dans l’ « Emile », critique qui sera réfutée en 1759 par Lessing. Si, dans la fable précédente, La Fontaine la fourmi possède beaucoup de biens qu’elle ne montre pas, ici, le corbeau, par vanité, montre le peu de richesses qu’il a et se la fait dérober. Cette vanité apparaîtra encore dans la fable suivante « La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf ». Comparaison encore entre la cigale qui n’a rien et repart les mains » vides et le renard qui lui non plus ne possède rien mais repart la bouche pleine. Cette fable remet en question la morale que nous aurions pu tirer, un tantinet trop vite, de la première.
Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard par l’odeur alléché ,
Lui tint à peu près ce langage :
«Et bonjour Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois»
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit et dit: « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute. »
Le corbeau honteux et confus
Jura mais un peu tard , qu’on ne l’y prendrait plus.
Alléché: Ce terme était vieillot du temps de La Fontaine. C’est la fable elle-même qui lui a apporté une nouvelle vigueur
Et Bonjour: Certains auteurs transcrivent « Hé ! bonjour,… » (Clarac, Bassy, Fragonard,…) mais d’autres (Collinet, Fumarolli, Gros et Schiffrin,…) écrivent « Et bonjour,… ».
Monsieur du Corbeau: Dans l’édition du manuscrit Sainte-Geneviève, nous lisons « Monsieur le corbeau ».
Se rapporte à..: Correspond à ; est aussi beau que.
Phénix: Oiseau fabuleux de la mythologie égyptienne, toujours seul de son espèce, doté d’un plumage doré qui, après un siècle de vie, mourait consumé par le feu, et renaissait aussitôt de ses cendres. Il était donc considéré comme un symbole de l’éternité. Ici, par extension, le sens est personne unique, exceptionnelle.
Laisse tomber sa proie: Admirons la concision. Peut-on dire plus en aussi peu de mots ?
Monsieur: Rime uniquement visuelle avec flatteur. Boileau avait proposé « Mon bon chanteur ». Admirons la très grande finesse de l’ironie dans la version de La Fontaine. D’Alembert dira « Mon bon monsieur est une raillerie plus douce et par conséquent plus fine [que mon bon chanteur] de la bêtise du corbeau. » (dans « Histoire des membres de l’Académie française morts depuis 1700), Moutard, 1787, t. 3, p. 88, cité par « La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 818).
..honteux et confus: L’édition du Ms. Sainte-Geneviève indique « Le corbeau, tout piqué, tout honteux, tout confus… ».