Le Singe et le Chat (Livre IX – Fable 17)

Cette fable plaisait tellement à Madame de Sévigné qu’elle écrivit dans sa lettre à Madame de Grignan, sa fille : « N’avez-vous pas trouvé jolies les cinq ou six fables qui sont dans un des tomes que je vous ai envoyés ? Nous en étions ravis l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld. Nous apprîmes par cœur celle du Singe et du Chat » (lettre du 29 avril 1671).
Il semble que, pour écrire cette fable, publiée en 1671, Jean de La Fontaine se soit inspiré de récits divers, spécialement des « Jours caniculaires » de l’Italien Simon Maioli (1588) ou du « Théâtre des animaux – Un Singe et un Chat » de Philippe Deprez.
C’est de ce texte que provient l’expression « tirer les marrons du feu ».

Bertrand avec Raton, l’un singe et l’autre chat,
Commensaux d’un logis, avaient un commun maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat :
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage :
Bertrand dérobait tout : Raton, de son côté,
Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire ;
Nos galands y voyaient double profit à faire :
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : « Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître,
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu. »
Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,
D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts ;
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque :
Et cependant Bertrand les croque.
Une servant vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on.Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi

Bertrand: Le singe portait déjà ce nom dans « Le Singe et le Léopard » (Livre IX, fable 3). Dans le texte de Maioli cité plus haut, « Les Jours caniculaires » se passent à la cour du pape Jules II, célèbre par son singe (cf. note 4 du Livre IX, fable 3). Même nom dans « Du Thésauriseur et du Singe » (XII, 3) – Nous retrouvons le nom de « Raton» donné au chat dans « Le Chat et les deux Moineaux » (XII, 2).

Commensaux: Qui mangent ensemble à la même table.

Ils ne craignaient… :  Ils étaient passés « maîtres ès méchanceté », spécialité dans laquelle ils ne craignaient personne.

Galand ou galant : malin (voir « Le trésor et les deux Hommes », Livre IX, fable 16, note 3).

Verraient beau jeu: Verraient ce qui pourrait leur advenir de beau.

Cependant : pendant ce temps