Le Singe (Livre XII – Fable 19)

Une courte pièce dont nous ne connaissons ni l’initiateur ni celui ou ceux qu’elle vise (*). Cette fable, pas la meilleure de La Fontaine, ne nécessite guère de grands commentaires. On suppose que le fabuliste voulait, comme dans « Le Geai paré des plumes du Paon » (Livre IV, fable 9), s’en prendre aux plagiaires. A propos du plagiat, il est à noter que La Fontaine n’a jamais caché les sources qui l’inspiraient. Mais loin de copier ses prédécesseurs, il donnait à chacune de ses œuvres une allure, un ton, des détails, de la vie qui faisaient chaque fois, à partir d’un point de départ souvent banal, une œuvre parfaitement personnelle.
(*) Certains pensent, sans preuve, à Antoine Furetière (1619-1688), exclu de l’Académie française pour avoir écrit un dictionnaire, concurrençant ainsi la Compagnie. L’auteur du « Dictionnaire universel » avait aussi écrit un recueil de fables (« Fables morales et nouvelles »), se vantant de surpasser La Fontaine puisqu’il ne s’inspirait ni d’Esope ni d’aucun autre mais inventait lui-même le sujet de ses fables..

                 Il est un singe dans Paris
A qui l’on avait donné femme.
Singe en effet d’aucuns maris,
Il la battait. La pauvre dame
En a tant soupiré qu’enfin elle n’est plus.
Leur fils se plaint d’étrange sorte,
Il éclate en cris superflus :
Le père en rit : sa femme est morte.
Il a déjà d’autres amours,
Que l’on croit qu’il battra toujours.
Il hante la taverne, et souvent il s’enivre.
N’attendez rien de bon du peuple imitateur,
Qu’il soit singe ou qu’il fasse un livre :
La pire espèce, c’est l’auteur.

D’aucuns : de certains.

D’étrange sorte : De façon extraordinaire.

Du peuple imitateur : Souvenir d’Horace : « O imitateurs, servile troupeau, que de fois vos agitations ont soulevé ma bile ou mon rire. » (Epitres , I, 19 )

La pire espèce, c’est l’auteur : Le sens le plus plausible est, en nous référant au vers précédent, « l’ auteur qui plagie ». Ce terme n’est utilisé que par dérision quand il s’agit des hommes.