Cette première fable du Livre Onzième trouve son inspiration chez de multiples auteurs « Les Grenouilles » d’Aristophane repris à plusieurs siècles d’intervalle par Plutarque dans sa « Vie d’Alcibiade ». L’humaniste français Jacques Amyot traduira la morale de ce dernier auteur (« Vies parallèles », 1559) en un quatrain « Le mieux serait pour la chose publique / Ne nourrir point de lion tyrannique ; / Mais puisqu’on veut le nourrir, nécessaire / Il est qu’on serve à ses façons de faire ». Le personnage du Renard se retrouve fréquemment chez l’Indien Pilpay ou il occupe souvent les mêmes fonctions que dans la présente pièce.
Cette fable nous apparaît clairement comme une allégorie politique. Le Lion est, c’est évident, Louis XIV, de qui Benserade avait dit « A ce jeune Lion déjà les ongles poussent / […] Et tout ce que l’audace a pris à la faiblesse, / Il faudra désormais le rendre à la vigueur. » (Cité dans « La Fontaine – Œuvres complètes, tome I ; Fables, contes et nouvelles » édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Collinet ; NRF Gallimard ; Bibliothèque de La Pléiade ; 1991, p. 1261). Nous trouvons d’ailleurs allusion, dans ce poème, à diverses étapes de la vie de Louis XIV. Citons, sans vouloir être exhaustif, la Fronde, la Ligue et la guerre « de Hollande », aux visées expansionnistes du Roi-Soleil… Sans paraître y toucher, La Fontaine a donc écrit ici un éloge à Louis le Grand dont le prestige s’est continuellement amplifié depuis la signature du Traité de Nimègue (pour de plus amples développements, voir le remarquable ouvrage de Marc Fumaroli, « La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 962-963).
Cette fable nous apparaît clairement comme une allégorie politique. Le Lion est, c’est évident, Louis XIV, de qui Benserade avait dit « A ce jeune Lion déjà les ongles poussent / […] Et tout ce que l’audace a pris à la faiblesse, / Il faudra désormais le rendre à la vigueur. » (Cité dans « La Fontaine – Œuvres complètes, tome I ; Fables, contes et nouvelles » édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Collinet ; NRF Gallimard ; Bibliothèque de La Pléiade ; 1991, p. 1261). Nous trouvons d’ailleurs allusion, dans ce poème, à diverses étapes de la vie de Louis XIV. Citons, sans vouloir être exhaustif, la Fronde, la Ligue et la guerre « de Hollande », aux visées expansionnistes du Roi-Soleil… Sans paraître y toucher, La Fontaine a donc écrit ici un éloge à Louis le Grand dont le prestige s’est continuellement amplifié depuis la signature du Traité de Nimègue (pour de plus amples développements, voir le remarquable ouvrage de Marc Fumaroli, « La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 962-963).
Sultan Léopard autrefois
Eut, ce dit-on, par mainte aubaine,
Force boeufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d’une et d’autre part,
Comme entre grands il se pratique,
Le sultan fit venir son vizir le renard,
Vieux routier, et bon politique.
« Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon voisin;
Son père est mort; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d’une affaire,
Et devra beaucoup au Destin
S’il garde ce qu’il a, sans tenter de conquête.»
Le renard dit, branlant la tête:
« Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié;
Il faut de celui-ci conserver l’amitié;
Ou s’efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu’il soit en état de nous nuire.
N’y perdez pas un seul moment.
J’ai fait son horoscope: il croîtra par la guerre;
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis, qui soit sur terre:
Tâchez donc d’en être; sinon
Tâchez de l’affaiblir.« La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens: tant qu’enfin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui: l’alarme se promène
De toutes parts; et le vizir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir:
« Pourquoi l’irritez-vous ? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide:
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne les tiens bons
Qu’à manger leur part de mouton.
Apaisez le lion: seul il passe en puissance
Ce monde d’alliés vivant sur notre bien.
Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton:
S’il n’en est pas content, jetez-en davantage:
Joignez-y quelque bœuf ; choisissez, pour ce don,
Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. » Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal ; et force Etats
Voisins du sultan en pâtirent:
Nul n’y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fît ce monde ennemi,
Celui qu’ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d’avoir un lion pour ami,
Si vous voulez le laisser craître.
Eut, ce dit-on, par mainte aubaine,
Force boeufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.
Il naquit un lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d’une et d’autre part,
Comme entre grands il se pratique,
Le sultan fit venir son vizir le renard,
Vieux routier, et bon politique.
« Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon voisin;
Son père est mort; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d’une affaire,
Et devra beaucoup au Destin
S’il garde ce qu’il a, sans tenter de conquête.»
Le renard dit, branlant la tête:
« Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié;
Il faut de celui-ci conserver l’amitié;
Ou s’efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent
Lui soit crue, et qu’il soit en état de nous nuire.
N’y perdez pas un seul moment.
J’ai fait son horoscope: il croîtra par la guerre;
Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis, qui soit sur terre:
Tâchez donc d’en être; sinon
Tâchez de l’affaiblir.« La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens: tant qu’enfin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui: l’alarme se promène
De toutes parts; et le vizir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir:
« Pourquoi l’irritez-vous ? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide:
Plus ils sont, plus il coûte ; et je ne les tiens bons
Qu’à manger leur part de mouton.
Apaisez le lion: seul il passe en puissance
Ce monde d’alliés vivant sur notre bien.
Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton:
S’il n’en est pas content, jetez-en davantage:
Joignez-y quelque bœuf ; choisissez, pour ce don,
Tout le plus gras du pâturage.
Sauvez le reste ainsi. » Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal ; et force Etats
Voisins du sultan en pâtirent:
Nul n’y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fît ce monde ennemi,
Celui qu’ils craignaient fut le maître.
Proposez-vous d’avoir un lion pour ami,
Si vous voulez le laisser craître.
Sultan Léopard: La Fontaine vise probablement, après l’avoir revêtu d’une couverture orientale, l’empereur Léopold Ier, bien que certains auteurs voient en ce Sultan Léopard » l’Angleterre parce que le Léopard héraldique figure dans les armoiries de ce pays.
Par mainte aubaine: Au sens juridique de terme, on parle de droit d’aubaine lorsque le souverain hérite des biens d’un étranger qui meurt sur les terres du dit souverain.
Lui soit crue: Du verbe « croître » ; l’expression signifie ici « lui soit grandie ». Voir vers 24 : « il croîtra par la guerre » et vers 53 : « Si vous voulez le laisser craître ».
Le sultan dormait lors: pour le sultan ne réagissait pas.
Seul il passe en puissance : même seul, il dépasse en puissance.
Il en prit mal: Mal lui en prit.
Craître: Cette graphie du verbe « croître » (cf. note 3 ci-dessus) est conforme à la prononciation de l’époque et est conservée ici pour la rime « maître – craître ».
Par mainte aubaine: Au sens juridique de terme, on parle de droit d’aubaine lorsque le souverain hérite des biens d’un étranger qui meurt sur les terres du dit souverain.
Lui soit crue: Du verbe « croître » ; l’expression signifie ici « lui soit grandie ». Voir vers 24 : « il croîtra par la guerre » et vers 53 : « Si vous voulez le laisser craître ».
Le sultan dormait lors: pour le sultan ne réagissait pas.
Seul il passe en puissance : même seul, il dépasse en puissance.
Il en prit mal: Mal lui en prit.
Craître: Cette graphie du verbe « croître » (cf. note 3 ci-dessus) est conforme à la prononciation de l’époque et est conservée ici pour la rime « maître – craître ».