Traduisait en langue des Dieux
Tout ce que disent sous les cieux
Tant d’êtres empruntants la voix de la nature.
Truchement de peuples divers,
Je les faisais servir d’acteurs en mon ouvrage;
Car tout parle dans l’univers;
Il n’est rien qui n’ait son langage:
Plus éloquents chez eux qu’ils ne sont dans mes vers,
Si ceux que j’introduis me trouvent peu fidèle,
Si mon oeuvre n’est pas un assez bon modèle,
J’ai du moins ouvert le chemin:
D’autres pourront y mettre une dernière main.
Favori des neuf soeurs, achevez l’entreprise:
Donnez mainte leçon que j’ai sans doute omise;
Sous ces inventions, il faut l’envelopper,
Mais vous n’avez que trop de quoi vous occuper:
Pendant le doux emploi de ma muse innocente,
Louis dompte l’Europe; et, d’une main puissante,
Il conduit à leur fin les plus nobles projets
Qu’ait jamais formés un monarque.
Favori des neuf Soeurs, ce sont là des sujets
Vainqueurs du temps et de la Parque. (Note)
Aux abords d’une onde pure: Image classique que celle du poète qui trouve l’inspiration au bord de la rivière.
La langue des dieux désigne l’expression poétique.
Empruntants: Accord insolite que nous retrouvons fréquemment (voir, par exemple, « Le Loup et le Chien », Livre I, fable 5, vers 24 « Donner la chasse aux gens / Portants bâtons, et mendiants ; / […] ». En 1679, l’Académie rendit le participe présent invariable dans cet emploi. Dans le dernier exemple, nous écririons donc au XXe siècle « portant » et « mendiant ».
Truchement: Interprètes.
Tout parle Victor Hugo (1802-1885) écrira, mais bien plus tard « Tout dit dans l’ univers quelque chose à quelqu’un ».
Les neuf sœurs sont, bien entendu, les Muses qui président aux arts libéraux en Grèce.
Inventions: Fictions.
Les six derniers vers rappellent la fin des « Géorgiques » de Virgile (IV, 5, 559-566) que certains jugent apocryphes « Voici ce que je chantais sur la culture des champs, sur l’élevage du bétail et sur les arbres, tandis que le grand César lançait contre l’Euphrate profond les foudres de la guerre, et que victorieux, il imposait sa loi aux peuples consentants et se frayait un chemin vers l’Olympe. A cette époque, la douce Parthénope me nourrissait, moi Virgile, tout heureux de me livrer sans contrainte à mes goûts, dans une inglorieuse retraite, et qui, avec l’audace de la jeunesse, t’a chanté, ô Tityre, sous le couvert d’un haut hêtre ».