La Perdrix et les Coqs (Livre X – Fable 7)

Cette fable est inspirée, pour les quinze premiers vers, par l’apologue d’ Esope « Les Coqs et la Perdrix ». L’histoire a ensuite été mise en quatrains par le poète français de salon Isaac Benserade (ou Bensserade) (Paris, vers 1613 – Gentilly, 1691) pour le Labyrinthe de Versailles. En voici le texte :
« La Perdrix bien battue eut un dépit extrême
Que les Coqs peu galants la traitassent ainsi :
Depuis voyant qu’entre eux ils en usaient de même,
Patience, dit-elle, ils se battent aussi ».
Le problème est de savoir lequel des deux poètes, de La Fontaine ou de Benserade, a précédé chronologiquement l’autre dans l’écriture de son poème. Question sans réponse. Il semble que, si l’une, celle de Benserade, a été éditée avant celle de La Fontaine, le fabuliste a pris le privilège de sa fable avant le rival de Voiture. On sait cependant que les deux pièces ont circulé d’une manière manuscrite longtemps avant leur impression.Une fois de plus, La Fontaine tente de nous montrer que chaque être a ses inclinations, ses penchants, qu’il doit suivre dans la vie et, comme le dit avec un sourire Marc Fumaroli en parlant de cette pente naturelle, « celle d’une femme délicate n’est pas celle d’un ‘macho’ » (« La Fontaine – Fables » ; Le Livre de Poche ; Classiques modernes ; La Pochothèque ; édition de Marc Fumaroli ; 1997, p. 950).

Parmi de certains coqs incivils, peu galants,
Toujours en noise, et turbulents,
Une perdrix était nourrie.
Son sexe et l’hospitalité,
De la part de ces coqs, peuple à l’amour porté,
Lui faisaient espérer beaucoup d’honnêteté:
Ils feraient les honneurs de la ménagerie.
Ce peuple cependant, fort souvent en furie,
Pour la dame étrangère ayant peu de respect,
Lui donnait fort souvent d’horribles coups de bec.
D’abord elle en fut affligée ;
Mais, sitôt qu’elle eût vu cette troupe enragée
S’entre-battre elle même et se percer les flancs ;
Elle se consola. « Ce sont leurs moeurs, dit-elle ;
Ne les accusons point, plaignons plutôt ces gens :
Jupiter sur un seul modèle
N’a pas formé tous les esprits ;
Il est des naturels de coqs et de perdrix.
S’il dépendait de moi, je passerais ma vie
En plus honnête compagnie.
Le maître de ces lieux en ordonne autrement ;
Il nous prend avec des tonnelles,
Nous loge avec des coqs, et nous coupe les ailes :
C’est de l’homme qu’il faut se plaindre seulement. »

Parmi de certains coqs : parmi certains coqs. Il n’est plus possible aujourd’hui d’employer le « de » devant un adjectif indéfini.Incivils : qui manquent de courtoisie.

Noise : bagarre, querelle. Ne s’emploie plus guère que dans les expressions « chercher noise à quelqu’un » ou « chercher des noises à quelqu ’un ».

Honnêteté : respect, avantages.

Tonnelles: Les chasseurs roulaient devant eux de grands tonneaux munis de filets dans lesquels venaient se prendre les perdrix.

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