Les inspirateurs de cette fable sont les mêmes que ceux de la pièce précédente (le « Pachantara », traduit par le R.P. Pussines dont la Dissetation parabolica XIII » s’intitule « Docet vices aequas verum lege constitutas ; unde conveniat non aegre ferre cum quis, que fecit, palitur »). La Fontaine a modifié complètement le long et lourd dialogue du Père Poussines et lui a donné à la fois vivacité et légèreté. Outre la philosophie de l’égoïsme (la lionne pleure ses enfants mais ne pense pas aux autres animaux qu’elle a pourtant dépouillé de leurs petits) nous retrouvons de nouveau la philosophie d’Epicure et de son approche de la relativité de la douleur (la lionne ne pleure qu’un seul enfant et est pourtant encore en âge d’en procréer d’autres) (vers 20).
Mère lionne avait perdu son fan:
Un chasseur l’avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que tout la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la reine des bois n’arrêtaient les vacarmes:
Nul animal n’était du sommeil visité.
L’ourse enfin lui dit :« Ma commère,
Un mot sans plus : tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N’avaient-ils ni père ni mère ?
– Ils en avaient. – S’il est ainsi,
Et qu’aucun de leur mort n’ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?
– Moi, me taire ! moi, malheureuse ?
Ah ! j’ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
– Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
– Hélas ! c’est le destin, qui me hait. » Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.Misérables humains, ceci s’adresse à vous.
Je n’entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu’il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.
Un chasseur l’avait pris. La pauvre infortunée
Poussait un tel rugissement
Que tout la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,
Son silence et ses autres charmes,
De la reine des bois n’arrêtaient les vacarmes:
Nul animal n’était du sommeil visité.
L’ourse enfin lui dit :« Ma commère,
Un mot sans plus : tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N’avaient-ils ni père ni mère ?
– Ils en avaient. – S’il est ainsi,
Et qu’aucun de leur mort n’ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi ?
– Moi, me taire ! moi, malheureuse ?
Ah ! j’ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !
– Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?
– Hélas ! c’est le destin, qui me hait. » Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.Misérables humains, ceci s’adresse à vous.
Je n’entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu’il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.
Fan : faon. A l’époque de La Fontaine, ce mot désignait le petit de n’importe quelle bête sauvage. Certains éditeurs transcrivent « fan » en faon », graphie plus moderne mais qui n’est pas celle de La Fontaine et conservée ici pour la rime.
« Misérables » est à prendre, non dans le sens moderne de « nécessiteux » mais dans son sens étymologique de « à plaindre ».
Hécube: Epouse de Priam, mère d’Hector, de Pâris et de Cassandre. Elle a vu périr son mari, ses enfants ; après la guerre de Troie, elle fut emmenée en esclavage en Thrace.