Les obsèques de la Lionne ( Livre VIII – Fable 14)

Le canevas suivi par La Fontaine provient d’un apologue d’Astémius « Le Lion irrité contre le Cerf joyeux lors de la mort de la Lionne » (Abstémius, fable 148). La Fontaine en a fait une satire de cour.
Le fabuliste fait mouche tout à la fois lorsqu’il parle des cérémonies funèbres aussi bien que des beaux parleurs ou encore du peuple des courtisans. Nous pouvons comparer les conceptions que se fait La Fontaine de la cour de Louis XIV en relisant  « Les Animaux malades de la peste » (Livre VII, fable 1).
            La femme du lion mourut ;
Aussitôt chacun accourut
Pour s’acquitter envers le prince
De certains compliments de consolation
Qui sont surcroît d’affliction.
Il fit avertir sa province
Que les obsèques se feraient
Un tel jour, en tel lieu, ses prévôts y seraient
Pour régler la cérémonie,
Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s’y trouva.
Le prince aux cris s’abandonna,
Et tout son antre en résonna:
Les lions n’ont point d’autre temple.
On entendit, à son exemple,
Rugir en leurs patois messieurs les courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens,
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au prince, ou, s’ils ne peuvent l’être,
Tâchent au moins de le parêtre :
Peuple caméléon, peuple singe du maître ;
On dirait qu’un esprit anime mille corps :
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire,
Le cerf ne pleura point. Comment eût-il pu faire ?
Cette mort le vengeait : la reine avait jadis
Etranglé sa femme et son fils.
Bref, il ne pleura point. Un flatteur l’alla dire,
Et soutint qu’il l’avait vu rire.
La colère du roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi lion ;
Mais ce cerf n’avait pas accoutumé de lire.
Le monarque lui dit : « Chétif  hôte des bois,
Tu ris ! tu ne suis pas ces gémissantes voix.
Nous n’appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles : venez, loups,
Vengez la reine, immolez tous
Ce traître à ses augustes mânes. »
Le cerf reprit alors :« Sire, le temps de pleurs
Est passé; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d’ici m’est apparue ;
Et je l’ai d’abord reconnue.
« Ami, m’a-t-elle dit, garde que ce convoi,
« Quand je vais chez les dieux, ne t’oblige à des larmes.
« Aux Champs Elysiens j’ai goûté mille charmes,
« Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
« Laisse agir quelque temps le désespoir du roi:
« J’y prends plaisir.» A peine on eut ouï la chose,
Qu’on se mit à crier :  » Miracle, Apothéose! »
Le cerf eut un présent, bien loin d’être puni.
Amusez les rois par des songes ;
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges :
Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,
Ils goberont l’appât ; vous serez leur ami.

Rugir en leur patois: Pour La Fontaine, les langages des courtisans ressemblerait-il à des patois ? Ironie.Parêtre: Paraître (ici, parêtre, pour la rime).

Salomon: Fils de David, Salomon est le troisième roi d’Israël. Il est célèbre par sa sagesse. C’est lui qui fit construire le temple de Jérusalem. A sa mort, le royaume sera divisé en deux parties : Juda et Israël.

Chétif: Ici « méprisable ».

ses augustes mânes:  L’âme des morts.

Garde: Evite.

Aux Champs Elysiens: Les Champs Elysées étaient le séjour des âmes vertueuses dans l’Antiquité grecque.