Venait de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantaient, l’un les forêts, et l’autre la cuisine.
Ils avaient eu d’abord chacun un autre nom;
Mais la diverse nourriture
Fortifiant en l’un cette heureuse nature,
En l’autre l’altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon.
Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerf aux abois, maint sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d’empêcher qu’une indigne maîtresse
Ne fît en ses enfants dégénérer son sang.
Laridon négligé témoignait sa tendresse
A l’objet le premier passant.
Il peupla tout de son engeance:
Tournebroches par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyant les hasards,
Peuple antipode des Césars.On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père:
Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégénère:
Faute de cultiver la nature et ses dons,
Oh! combien de Césars deviendront Laridons!
Hantaient, l’un les forêts…: Le texte de 1678 indiquait, tout comme celui de 1692 « L’un hantait les forêts, et l’autre la cuisine ».
Laridon: Nom crée par La Fontaine sur le mot latin « Laridum » signifiant « lard » et qui, par opposition à la noblesse du nom « César », souligne le côté terre-à-terre du premier personnage.
Tournebroches: On nommait ainsi les chiens dressés à tourner la broche, d’où le vers d’ Edmond Rostand dans la tirade du duel de « Cyrano de Bergerac » « Tiens bien ta broche, Laridon » (« Cyrano de Bergerac », acte I, scène 4) dans lequel Cyrano s’adresse, en se moquant, à son adversaire qu’il compare à ce pauvre chien.