Le Villageois et le Serpent (Livre VI – Fable 13)

Comme bien souvent,  cette fable est inspirée d’Esope (« Le Laboureur et le Serpent ») . Elle fut reprise par le fabuliste latin Phèdre (Macédoine, 10 avant J.-C. – vers 54 après J.-C.). Mais ces deux auteurs faisaient mourir, non le serpent, mais un laboureur victime de sa bienveillance. Une autre fable de La Fontaine  L’Homme et la Couleuvre  , reprend sensiblement le même thème.
            Esope conte qu’un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d’hiver se promenant
A l’entour de son héritage,
Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le villageois le prend, l’emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer
D’une action de ce mérite,
Il l’étend le long du foyer
Le réchauffe, le ressuscite
L’animal engourdi sent à peine le chaud
Que l’âme lui revient avecque la colère
Il lève un peu la tête, puis siffle aussitôt
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.
«Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras!» A ces mots, plein d’un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue et la tête.
L’insecte, sautillant, cherche à se réunir,
Mais il ne put y parvenir.Il est bon d’être charitable :
Mais envers qui ? c’est là le point.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin misérable.

Manant: paysan.

Héritage: propriété reçue en héritage.

Loyer: salaire.

Insecte: « On appelle aussi ‘insectes’ les animaux qui vivent après qu’ils sont coupés en plusieurs parties, comme la grenouille, les lézards, serpents, vipères » (Furetière).