Le Livre sixième s’ouvre, sans dédicace particulière, sur une fable double.
« Le Pâtre et le Lion » que je vous présente aujourd’hui en constitue la première. Le second apologue vous sera envoyé demain sous le titre « Le Lionet le Chasseur ». Je vous invite à porter votre attention tout spécialement sur la morale bien différente de ces deux fables.
Je retiens de cette première partie la conception très claire de la fable qu’est celle de La Fontaine.
« Le Pâtre et le Lion » que je vous présente aujourd’hui en constitue la première. Le second apologue vous sera envoyé demain sous le titre « Le Lionet le Chasseur ». Je vous invite à porter votre attention tout spécialement sur la morale bien différente de ces deux fables.
Je retiens de cette première partie la conception très claire de la fable qu’est celle de La Fontaine.
Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu’aucuns l’en ont blâmé;
Ésope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D’une élégance laconique;
Il renferme toujours son conte en quatre vers ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L’un amène un Chasseur, l’autre un Pâtre, en sa fable.
J’ai suivi leur projet quant à l’événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre, à ses Brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ
Des lacs à prendre Loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disait-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande.
A ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
Que l’homme ne sait guère, hélas! ce qu’il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô Monarque des Dieux, je t’ai promis un Veau :
Je te promets un boeuf si tu fais qu’il s’écarte.C’est ainsi que l’a dit le principal auteur :
Passons à son imitateur.
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire,
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue.
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre était si succinct qu’aucuns l’en ont blâmé;
Ésope en moins de mots s’est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec renchérit et se pique
D’une élégance laconique;
Il renferme toujours son conte en quatre vers ;
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L’un amène un Chasseur, l’autre un Pâtre, en sa fable.
J’ai suivi leur projet quant à l’événement,
Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme à peu près Ésope le raconte.
Un Pâtre, à ses Brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le Larron.
Il s’en va près d’un antre, et tend à l’environ
Des lacs à prendre Loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,
Si tu fais, disait-il, ô Monarque des Dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir
Le plus gras, et t’en faire offrande.
A ces mots sort de l’antre un Lion grand et fort.
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
Que l’homme ne sait guère, hélas! ce qu’il demande !
Pour trouver le Larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
Ô Monarque des Dieux, je t’ai promis un Veau :
Je te promets un boeuf si tu fais qu’il s’écarte.C’est ainsi que l’a dit le principal auteur :
Passons à son imitateur.
Certain grec: Il s’agit de Gabrias (ou Babrias, ou encore Babrius), un poète grec du IIIe siècle après J.-C. Il a remanié des textes dits « ésopiques » du IIe siècle et a écrit lui-même des fables. On ne connaissait son ouvre que par des résumés (des quatrains, d’où l’allusion de La Fontaine) établis par Ignace le Diacre, moine du IXe siècle. Une partie de son ouvre sera retrouvée au milieu du XIXe siècle.
Mécompte: La Fontaine a écrit « méconte » pour la rime. Il est vrai qu’à l’époque, on ne distinguait pas « conte » et « compte ».
Lacs : lacet à noud coulant servant de piège pour le gibier.
Monarque des dieux: Jupiter