Un satyre et ses enfants
Allaient manger leur potage,
Et prendre l’écuelle aux dentsOn les eût vus sur la mousse,
Lui, sa femme, et maint petit;
Ils n’avaient tapis ni housse,
Mais tous fort bon appétit .Pour se sauver de la pluie,
Entre un passant morfondu.
Au brouet on le convie :
Il n’était pas attendu .
Son hôte n’eut pas la peine
De le semondre deux fois.
D’abord avec son haleine
Il se réchauffe les doigts .
Puis sur le mets qu’on lui donne,
Délicat, il souffle aussi.
Le satyre s’en étonne :
« Notre hôte, à quoi bon ceci ?
– L’un refroidit mon potage;
L’autre réchauffe ma main.
– Vous pouvez, dit le sauvage,
Reprendre votre chemin .
Ne plaise aux dieux que je couche
Avec vous sous même toit !
Arrière ceux dont la bouche
Souffle le chaud et le froid !
Le satyre est, selon la mythologie grecque, un demi-dieu rustique au corps couvert de poils, aux jambes et aux sabots de bouc, possédant de longues oreilles pointues , des cornes et une queue. Il était le compagnon du dieu du vin Dyonisos. On l’appelait aussi ‘silène’. C’est de ce nom que vient ‘satire’, cette pièce en vers qui attaque les travers d’une époque.
Prendre l’écuelle aux dents: L’écuelle est une forme rustique de l’assiette. Les gens sont, ici, très pauvres et mangent avec leurs mains. A rapprocher de ‘prendre le mors aux dents’.
Maint: Beaucoup de. L’expression, déjà désuète du temps de La Fontaine, pouvait s’employer tant au pluriel qu’au singulier.
Morfondu: Épuisé.
Semondre: Avertir à l’avance (de là vient le nom ‘semonce’).
L’un: L’un des souffles.