Le Satyre et le Passant ( Livre V – Fable 7)

Ce poème écrit en quatrains heptasyllabiques (tout comme « Le Rat de villes et le Rat des champs », a été inspiré de « L’Homme et le Satyre » d’Esope. La bouche souffle le chaud et le froid ! « Pourquoi ? » se demandera Aristote. (dans ses « Problèmes », XXXIV, 7). Erasme, Charron, Fleury de Bellingen et bien d’autres encore traiteront la question. Le livre biblique sapientel « L’Ecclésiastique » (appelé aussi « Le Siracide ») dira : « Fi du bavard et du fourbe : / ils ont perdu beaucoup de gens qui vivaient en paix. » (28, 13) (texte de la « Bible de Jérusalem »). La traduction de ce même verset biblique par le chanoine Osty est beaucoup plus explicite : « Le rapporteur [et l’homme] à la double langue, maudissez-les ; / car ils ont fait périr bien des gens qui vivaient en paix. » (Je signale que ce livre n’est pas reconnu comme inspiré par les Juifs, pas plus que par les protestants et qu’il ne faut pas le confondre avec « L’Ecclésiaste »). LaFontaine ici bon fera fruit de cette citation.
Au fond d’un antre sauvage
Un satyre  et ses enfants
Allaient manger leur potage,
Et prendre l’écuelle aux dentsOn les eût vus sur la mousse,
Lui, sa femme, et maint petit;
Ils n’avaient tapis ni housse,
Mais tous fort bon appétit .Pour se sauver de la pluie,
Entre un passant morfondu.
Au brouet on le convie :
Il n’était pas attendu .

Son hôte n’eut pas la peine
De le semondre deux fois.
D’abord avec son haleine
Il se réchauffe les doigts .

Puis sur le mets qu’on lui donne,
Délicat, il souffle aussi.
Le satyre s’en étonne :
« Notre hôte, à quoi bon ceci ?

– L’un refroidit mon potage;
L’autre réchauffe ma main.
– Vous pouvez, dit le sauvage,
Reprendre votre chemin .

Ne plaise aux dieux que je couche
Avec vous sous même toit !
Arrière ceux dont la bouche
Souffle le chaud et le froid !

Le satyre est, selon la mythologie grecque, un demi-dieu rustique au corps couvert de poils, aux jambes et aux sabots de bouc, possédant de longues oreilles pointues , des cornes et une queue. Il était le compagnon du dieu du vin Dyonisos. On l’appelait aussi ‘silène’. C’est de ce nom que vient ‘satire’, cette pièce en vers qui attaque les travers d’une époque.

Prendre l’écuelle aux dents: L’écuelle est une forme rustique de l’assiette. Les gens sont, ici, très pauvres et mangent avec leurs mains. A rapprocher de ‘prendre le mors aux dents’.

Maint: Beaucoup de. L’expression, déjà désuète du temps de La Fontaine, pouvait s’employer tant au pluriel qu’au singulier.

Morfondu: Épuisé.

Semondre: Avertir à l’avance (de là vient le nom ‘semonce’).

L’un: L’un des souffles.