L’ Ecolier le Pédant et le Maître d’un jardin (Livre IX – Fable 5)

Cette fable semble bien être une invention de La Fontaine lui-même. Elle serait construite en tenant compte de deux pièces précédentes : « L’Enfant et le Maître d’école » (Livre I, fable 19) et « Le Jardinier et son Seigneur » (Livre IV, fable 4).
La Fontaine, après s’en être pris aux avares, se retourne contre les pédants (Molière, contemporain du fabuliste raillera les uns et les autres lui aussi).
Nous pourrions lire la fable – mais à posteriori bien sûr – avec un regard   écologique qui n’était pas le même que celui de La Fontaine évidemment.

        Certain enfant qui sentait son collège,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge et par le privilège
Qu’ont les pédants de gâter la raison,
Chez un voisin dérobait, ce dit-on,
Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne,
De plus beaux dons que nous offre Pomone
Avait la fleur , les autres le rebut.
Chaque saison apportait son tribut ;
Car au printemps, il jouissait encore
Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour, dans son jardin il vit notre écolier
Qui, grimpant, sans égard, sur un arbre fruitier,
Gâtait jusqu’aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l’abondance :
Même il ébrancherait l’arbre ; et fit tant, à la fin,
Que le possesseur du jardin
Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint, suivi d’un cortège d’enfants :
Voilà le verger plein de gens
Pires que le premier. Le pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant
Cette jeunesse mal instruite :
Le tout, à ce qu’il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d’exemple, et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d’une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,
Avec force traits de science.
Son discours dura tant que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.            Je hais les pièces d’éloquence
Hors de leur place, et qui n’ont point de fin,
Et ne sais bête au monde pire
Que l’écolier, si ce n’est le pédant.
Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairait aucunement.

Certain enfant…: Voir, au sujet de la notion d’enfance, la fable « Les deux Pigeons » (Livre IX, fable 2), note 10 : « Mais un fripon d’enfant (cet âge est sans pitié)… ».

Pomone: Déesse des fruits et des jardins chez les Grecs.

La fleur : le meilleur.

Flore: Déesse grecque des fleurs. De son nom vient « floralies » ou fêtes en l’honneur de Flore.

Douce et frêle espérance: Comparer avec « Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance .» (« L’Aigle et l’Escarbot », Livre II, fable 8).

De sa grâce : par sa propre volonté.

Virgile : poète latin (70 avant J.-C. – 19 avant J.-C.), auteur des Bucoliques », des « Géorgiques » et d’une épopée nationale « L’Enéide ». –

Cicéron (106 avant J.-C. – 43 avant J.C.) : homme politique et orateur romain : il a porté l’éloquence à son sommet. – Ces deux auteurs représentaient la base sur laquelle s’appuyaient les études.