Le Combat des Rats et des Belettes ( Livre IV – Fable 6)

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La Fontaine s’inspirera de nombreux auteurs avant d’écrire cette fable. Il prendra texte d’Esope et de sa fable du même titre mais aussi de Phèdre 5IV, 6) ainsi que, pour des détails (les noms de Psicarpax et de Méridarpax), d’ une ancienne épopée burlesque datant peut-être du Ve siècle avant J.-C., mais parfois aussi attribuée à Homère, la « Batrachomyomachie ».
La nation des belettes,
Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats;
Et sans les portes étrètes
De leurs habitations,
L’animal à longue échine
En ferait, je m’imagine,
De grandes destructions.
Or une certaine année
Qu’il en était à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployèrent l’étendard.
Si l’on croit la renommée,
La victoire balança:
Plus d’un guéret s’engraissa
Du sang de plus d’une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits
Sur le peuple souriquois.
Sa déroute fut entière,
Quoi que pût faire Artapax,
PsicarpaxMéridarpax,
Qui, tout couverts de poussière,
Soutinrent assez longtemps
Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine;
Il fallut céder au sort:
Chacun s’enfuit au plus fort,
Tant soldat que capitaine.
Les princes périrent tous.
La racaille, dans des trous
Trouvant sa retraite prête,
Se sauva sans grand travail;
Mais les seigneurs sur leur tête
Ayant chacun un plumail,
Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d’honneur,
Soit afin que les belettes
En conçussent plus de peur,
Cela causa leur malheur.
Trou, ni fente, ni crevasse
Ne fut large assez pour eux;
Au lieu que la populace
Entrait dans les moindres creux.
La principale jonchée
Fut donc des principaux rats.Une tête empanachée
N’est pas petit embarras.
Le trop superbe équipage
Peut souvent en un passage
Causer du retardement.
Les petits, en toute affaire,
Esquivent fort aisément:
Les grands ne le peuvent faire.

Etrètes: Etroites cette ancienne graphie est conservée pour la rime. Voir « La Belette entrée dans un grenier » (Livre III, 17, vers 1, 2) « Damoiselle Belette, au corps long et flouet, / Entra dans un grenier par un trou fort étrait / […] ».

Ratapon: Nom inventé de toutes pièces par La Fontaine.

Balança: Hésita.

Le peuple souriquois: On sait que La Fontaine ne distingue pas les rats des souris ; le terme est typiquement lafontainien.

Artapax: Voleur de pains. Le mot est de La Fontaine. Il a été formé sur les deux suivants (voir l’introduction).

Psicarpax: Voleur de miettes.

Méridarpax: Voleur de morceaux.

Au plus fort: Au plus vite, de toutes ses forces.

Plumail: Panache emplumé, plumet. Nous trouvons ce mot dans Rabelais « M’amye, donnez leur mes beaulx plumailz blancs, avec les pampillettes d’or. » (« Le Quart Livre », chapitre XIII.

Jonchée: Emploi très personnel du terme. Jonchée se disait pour des herbes couvrant le sol, non pour des cadavres.