Le Paon se plaignant à Junon ( Livre II – Fable 17)

La source de ce poème est à chercher chez Phèdre (Livre III, 16, « Plainte du Paon à Junon »). Nous avons déjà rencontré une fable semblable. En effet, dans « Le Corbeau voulant imiter l’Aigle » (Livre II, fable 16), nous voyons le corvidé y étaler la jalousie qu’il ressent pour la force de l’oiseau de Jupiter. Dans cette fable-récit, le paon est lui aussi jaloux mais de la voix du rossignol.
           Le paon se plaignait à Junon.
« Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure:
Le chant dont vous m’avez fait don
Déplaît à toute la nature ;
Au lieu qu’un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu’éclatants,
Est lui seul l’honneur du printemps.
Junon répondit en colère :
« Oiseau jaloux, et qui devrais te taire,
Est-ce à toi d’envier la voix du rossignol,
Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies,
Qui te panades, qui déploies
Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d’un lapidaire ?
Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire ?
Tout animal n’a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la grandeur et la force en partage ;
Le faucon est léger, l’aigle plein de courage ;
Le corbeau sert pour le présage ;
La corneille avertit des malheurs à venir;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre ; ou bien, pour te punir,
Je t’ôterai ton plumage.»

Pourquoi Junon ???Le paon est l’oiseau dédié à Junon.Sans raison que je me plains..Mais pourquoi le paon se plaint-il donc ? Dans la fable 7 du Livre I, Jupiter n’a-t-il pas demandé à tous les animaux de lui faire part de leur souhaits : « Si dans son composé quelqu’un trouve à redire, / Il peut le déclarer sans peur ; / … » (vers 3, 4). Chacun se trouvait fort bien fait à l’époque.

Un arc-en-ciel nué:  Aux couleurs disposées selon les diverses nuances.

Qui te panades : qui te pavane, qui marche avec fierté (le terme a la même origine que le mot paon).

Le lapidaire est à la fois celui qui taille et polit les pierres précieuses et celui qui en fait commerce. Le terme désigne aussi tout ce qui concerne les pierres. Guez de Balzac écrira à M. de Forgues : « Je trouve les émeraudes de vos paons d’aussi grand prix que celles des lapidaires. » (cité dans « La Fontaine – Œuvres complètes, tome I ; Fables, contes et nouvelles » édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Collinet ; NRF Gallimard ; Bibliothèque de La Pléiade ; 1991, p. 1092).

La corneille avertit des malheurs à venir: Dans « Esope le Phrygien », La Fontaine écrit : « A peine notre Phrygien fut hors qu’il aperçut deux corneilles qui s’abattirent sur le plus haut […]. ‘Moi qui ai vu deux corneilles, je suis battu, mon maître qui n’en a vu qu’une est prié de noces.’ »

Leur ramage: Le chant des oiseaux. Il était produit dans la ramée. Rappelons-nous Sans mentir, si votre ramage / Se rapporte à votre plumage, / Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. » ( « Le Corbeau et le Renard », Livre I, fable 2, vers 7-9).