Le Lion et l’Ane chassant ( Livre II – Fable 19)

C’est Esope qui a écrit la fable « Le Lion et l’Ane chassant de compagnie ». Celle-ci sera reprise par Phèdre duquel La Fontaine s’inspirera. Chez Phèdre, la moralité est « La vanité est ridicule à un homme sans cœur ». Comparons avec celle d’Esope « Ceux qui se vantent auprès de ceux qui savent s’attirent à bon droit le ridicule ». Nous voyons que La Fontaine laisse à son lecteur le soin de préciser la moralité qu’il tire de sa lecture.
Cette fable n’est pas sans nous faire penser à la fable 19 lu Livre V « Le Lion s’en allant en guerre ».
Nous retrouvons ici le lion pour la troisième fois dans les fables de La Fontaine, après « Le Lion et le Moucheron » (Livre II, fable 9) et « Le Lion et le Rat » (II, 11). Il peut être intéressant de comparer l’évolution de ce personnage à travers ces trois fables avant de préciser son caractère et ses manières d’être avec les suivantes.
Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer: il célébrait sa fête.
Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.
Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
De l’âne à la voix de Stentor.
L’âne à Messer Lion fit office de cor.
Le lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu’à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n’était pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix ;
L’air en retentissait d’un bruit épouvantable;
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois,
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le Lion.
« N’ai-je pas bien servi dans cette occasion ?
Dit l’âne en se donnant tout l’honneur de la chasse.
– Oui, reprit le lion, c’est bravement crié:
Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J’en serais moi-même effrayé. »
L’âne, s’il eût osé, se fut mis en colère,
Encor qu’on le raillât avec juste raison ;
Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron ?
Ce n’est pas là leur caractère.

Giboyer:  Mot burlesque signifiant chasser du gibier. ; de la même veine que le terme giboyeux.Ministère : service.

Stentor : on connaît l’expression ‘voix de stentor’ signifiant ‘voix très puissante’. Stentor était un guerrier grec dont la voix, selon l’Iliade », chant 5, valait celle de cinquante guerriers.

Messer : mot burlesque issu de l’italien et signifiant messire.

Ramée: Branches garnies de feuilles. Voir « La Mort et le Bûcheron » : « Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramées / […] » (Livre I, fable 16, vers 1).

« fit office de cor » : cf. « L’Ane effraiera les gens en servant de trompette » (« Le Lion s’en allant en guerre », Livre V, fable 19, vers 15).

Bravement crié: Double sens : « crié comme il convient «  ou « crié avec bravoure ». La Fontaine joue habilement mais aussi ironiquement sur l’ambiguïté de l’expression.

« UN âne fanfaron ? / Ce n’est pas là LEUR caractère ». La Fontaine emploie ici une figure de style appelée ‘syllepse’ ou accord de mot selon le sens et non selon la grammaire, ici passage d’un singulier à un pluriel générique.