Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l’eau se penchant une fourmis y tombe;
Et dans cet océan l’on eût vu la fourmis
S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité:
Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus.
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête,
La fourmis le pique au talon.
Le vilain retourne la tête.
La colombe l’entend, part et tire de long.
Le soupé du croquant avec elle s’envole :
Point de pigeon pour une obole.
Une fourmis : cette graphie est nécessaire afin d’éviter tout hiatus. Cette graphie, que nous retrouvons telle dans tout le texte – mais différente dans le titre – est aussi indispensable pour le nombre de pieds.
La charité est la principale vertu théologale. La Fontaine veut ici insérer un caractère chrétien à sa fable.
Un croquant : le terme, comme plus bas celui de vilain (note 5), indique un paysan, un homme du petit peuple qui n’a qu’un croc pour travailler la terre.
L’oiseau de Vénus: La colombe était l’oiseau consacré à la déesse de l’Amour.
Le vilain: Voir ci-dessus, note 3.
Tire de long: S’enfuit.
Soupé: Trois graphies correctes à l’époque de La Fontaine : soupé ou souper ou encore soupée.
L’obole est, au départ, une monnaie athénienne de peu de valeur (la sixième partie de la drachme. C’est cette monnaie que l’on plaçait à l’intérieur de la bouche des mort afin qu’ils puissent payer à Caron le passage du fleuve des Enfers, le Styx.