Simonide préservé par les Dieux. (Livre I – Fable 14)

Voici une histoire provenant de Phèdre (IV, 24) et contant un épisode mythique de la vie du poète lyrique grec Simonide de Céos (Kia) (556 – 467 avant J.-C), le mythologique créateur de l’ode aux Jeux Olympiques. Cicéron (« De oratore » II, LXXXVI, 341-353), aussi bien que Quintilien « Institution oratoire », XII, II, 11-17) avait déjà rapporté l’anecdote. Ce dernier auteur était très lu par La Fontaine (voir « Epître à Huet »). Mais c’est de la version de l’historien romain Valère Maxime (« Faits et dits mémorables », I, VIII) que s’inspirera La Fontaine.

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
 Les dieux , sa maîtresse et son roi.
Malherbe le disait, j’y souscris, quant à moi :
Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits.
Voyons comme les dieux l’ont quelquefois payée.

Simonide avait entrepris
L’éloge d’un athlète ; et la chose essayée,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l’athlète étaient gens inconnus ;
Son père, un bon bourgeois; lui sans autre mérite ;
Matière infertile et petite.
Le poète d’abord, parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu’il en pouvait dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux, ne manque pas d’écrire
Que leur exemple était aux lutteurs glorieux,
Elève leurs combats, spécifiant les lieux
Où ces frères s’étaient signalés davantage.
Enfin l’éloge de ces dieux
Faisait les deux tiers de l’ouvrage.
L’athlète avait promis d’en payer un talent
Mais quand il le vit, le galand
N’en donna que le tiers, et dit fort franchement
Que Castor et Pollux acquittassent le reste.
« Faites vous contenter par ce couple céleste.
Je veux vous traiter cependant :
Venez souper chez moi, nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,
Mes parents, mes meilleurs amis,
Soyez donc de la compagnie. »
Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur
De perdre, outre son dûle gré de sa louange.
Il vient : l’on festine, l’on mange.
Chacun étant en belle humeur,
Un domestique accourt, l’avertit qu’à la porte
Deux hommes demandaient à le voir promptement.
Il sort de table; et la cohorte
N’en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étaient les gémeaux de l’éloge.
Tous deux lui rendent grâce, et pour prix de ses vers,
Ils l’avertissent qu’il déloge,
Et que cette maison va tomber à l’envers.
La prédiction en fut vraie.
Un pilier manque ; et le plafonds
Ne trouvant plus rien qui l’étaie,
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N’en fait pas moins aux échansons.
Ce ne fut pas le pis, car pour rendre complète
La vengeance due au poète,
Une poutre cassa les jambes à l’athlète,
Et renvoya les conviés
Pour la plupart estropiés.
La renommée eut soin de publier l’affaire:
Chacun cria miracle. On doubla le salaire
Que méritaient les vers d’un homme aimé des dieux.
Il n’était fils de bonne mère
Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n’en fit faire.

Je reviens à mon texte , et dis premièrement
Qu’on ne saurait manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils, de plus que Melpomène
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;
Enfin, qu’on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur dès lors qu’ils nous font grâce:
Jadis l’Olympe et le Parnasse
Etaient frères et bons amis.

Les dieux: Les puissants de la cour. Ce vers peut être rapproché du vers 7 du Discours à Madame de La Sablière » (fin du livre IX) « Elle est commune aux dieux, aux monarques, aux belles », dit La Fontaine en parlant du désir de louanges.

François de Malherbe (Caen, 1555 – Paris, 1628). Poète baroque au départ qui se séparera bientôt de La Pléiade pour écrire selon un modèle plein de rigueur et de clarté. Il sera à l’origine de l’écriture classique. On lui prêtait un certain nombre de sentences et de pensées plus ou moins imaginaires, celle ci par exemple qui, si elle a été dite (rien n’est moins sûr) n’a pas été écrite par lui.

Castor et Pollux sont les fils jumeaux de Zeus et de Léda, identifié à une constellation, celle des Gémeaux.

Le gré: La reconnaissance.

L’on festine: L’on festoie.

La Renommée est cette déesse grecque aux cent bouches soufflant dans cent trompettes.

Je reviens à mon texte: Je reviens à mon propos. Tournure souvent employée par La Fontaine Je reviens à mon texte » (Le Loup et le Chasseur », Livre VIII, fable 27, vers 49) et « J’en reviens à mon dire » (« La querelle des Chiens et des Chats », Livre XII, fable 8, vers 38).

Melpomène (du verbe « chanter ») une des neuf Muses grecque. Elle présidait primitivement au chant et à l’harmonie, puis devint la patronne de la tragédie. Elle est la mère des Sirènes. Elle représente ici la poésie en général.

Dès lors qu’ils nous font grâce: Dès qu’ils nous gratifient.

L’Olympe et le Parnasse signifient les puissants et les poètes. A ce sujet, lire « Le Poète et le Roi – Jean de La Fontaine en son siècle» de Marc Fumarolli, Paris, éd. de Fallois, 1997, le chapitre intitulé « L’Olympe et le Parnasse ».

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