Le Renard et la Cigogne (Livre I – Fable 18)

C’est l’écrivain grec Plutarque (50 – 125) qui nous a transmis au travers de ses « Propos de table » (I, 1) le texte d’Esope qui a inspiré cette fable. Phèdre reprendra également ce thème (I, 26).

 

Compère  le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la Cicogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts:
Le galand, pour toute besogne,
Avait un brouet clair (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:
La cigogne au long bec n’en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
« Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,
Je ne fais point cérémonie.  »
A l’heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse,
Loua très fort sa politesse ,
Trouva le dîner cuit à point.
Bon appétit surtout, renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure .
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer,
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.

Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.

 

Compère et commère se disait au départ pour désigner le parrain et la marraine d’un enfant ; le terme devint ensuite synonyme d’ami. Pour finir, il prit une signification péjorative, un compère devenant un ami avec lequel on fait de mauvais coups, un complice, alors que la commère désigne plutôt une femme bavarde..

Cicogne: Si Richelet et Furetière écrivent « cigogne », La Fontaine, tout comme l ’Académie, retient plutôt l’orthographe « cicogne » (du latin « cicogna »).

Galand: Je rappelle que le terme s’écrit indifféremment, au XVIIe siècle, galand » ou « galant ». Voir la note 5 de « L’Homme et son image » (Livre I, fable11) et aussi « Simonide préservé par les dieux » (I, 14, vers 24). Le terme désigne un homme malin, adroit et rusé en affaires. Il sera repris sous son synonyme « drôle », au vers 8.

Brouet: Un potage fort clair et sans recherche ni goût.

Le drôle: Le malin, le rusé, le coquin. Le terme persiste dans le Sud-Ouest de la France et désigne un garçonnet.

Cérémonie: De grandes manières.

Une variante « sa politesse » (1678).

Friande: Appétissante. Signifie aussi bien rissolée.

Col: Terme ancien pour dire cou.

Embouchure: Selon Furetière, ce terme est employé « entre chaudronniers et potiers et signifie entrée de pot ou de fourreau ».

Honteux: Dans « Le Corbeau et le Renard » (Livre I, fable 2, vers 17, 18), c’est le corbeau qui est « honteux et confus ». Tel est pris…