La Mort et le bûcheron (Livre I – Fable 16)

Voici la seconde partie de cette fable double, la première étant « La Mort et le Malheureux » (Livre I, fable 15 – voir l’introduction s’y rapportant). Dans celle-ci, La Fontaine suit plus fidèlement la fable d’Esope, ceci pour répondre aux critiques de certains de ses contemporains (Boileau faisait partie de ceux-ci).

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort ; elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu’il faut faire.
«C’est, dit-il, afin de m’aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère .»Le trépas vient tout guérir;
Mais ne bougeons d’où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.

 

Ramée: Ensemble de branches feuillues.

Chaumine: Archaïsme pour chaumière misérable.

Les soldats étaient logés chez l’habitant, aux frais de ceux-ci bien souvent. La première caserne, celle de Paris ne date que de 1692.

Tu ne tarderas guère: Cela te prendra peu de temps et ne te retardera pas de beaucoup.