A Monseigneur le Dauphin (Livre I – Fable 23)

Cette dédicace est adressée à Louis de France, dit plus tard le Grand Dauphin (Fontainebleau, 1661 – Meudon, 1711). Il est le fils du roi Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse. Le jeune prince est âgé de sept ans lorsque La Fontaine lui dédie son recueil de fables.
Ce texte nous intéresse particulièrement en ce sens qu’il nous présente quelques conceptions essentielles du travail du fabuliste, aussi bien que ses inspirations (ici, Virgile, puis Esope).

 

Je chante les héros (1) dont Esope (2) est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons(3)
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes;
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d’un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d’une plus forte voix
Les faits (4) de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t’entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures;
Et si de t’agréer (5) je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

 

Pastiche du début de l’Enéide du poète latin Virgile (vers 70 avant J.-C. – vers 19 avant J.-C.) « Je chante les combats et le héros…».
(2) Esope (VIIe – VIe siècle avant J.-C.) a beaucoup inspiré La Fontaine. Ce personnage demi légendaire aurait écrit un ensemble de fables dans lesquelles il met en scène des animaux. Chaque récit se termine par une moralité. Au sens strict, on réserve le nom d’apologue à ce type de poème.
(3) « Grâce aux filles de Mémoire, / J’ai chanté des animaux / Peut-être d ’autres héros / M’auraient acquis moins de gloire. » écrira La Fontaine dix ans plus tard dans « Le Dépositaire infidèle » (Livre IX, fable 1, vers 1-4).
(4) Les grandes actions, les hauts faits de tes aïeux.
(5) Et si de te plaire.
(6) « Si les forces me manquent, mon audace en tout cas me tiendra lieu de mérite dans les entreprises ambitieuses, l’intention même suffit » (Properce, « Elégies », livre II, X, V, vers 5-6, cité dans « La Fontaine – Œuvres complètes, tome I ; Fables, contes et nouvelles» édition établie, présentée et annotée par Jean-Pierre Collinet ; NRF Gallimard ; Bibliothèque de La Pléiade ; 1991, p. 1059).