Mutilé par mon propre maître ?
Le bel état où me voici !
Devant les autres chiens oserai-je paraître ?
Ô rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous feraient choses pareilles… »
Ainsi criait Mouflar, jeune dogue ; et les gens,
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyait perdre. Il vit avec le temps
Qu’il y gagnait beaucoup ; car étant de nature
A piller ses pareils, mainte mésaventure
L’aurait fait retourner chez lui
Avec cette partie en cent lieux altérée :
Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée.
Le moins qu’on peut laisser de prise aux dents d’autrui,
C’est le mieux. Quand on n’a qu’un endroit à défendre,
On le munit, de peur d’esclandre.
Témoin Maître Mouflar armé d’un gorgerin;
Du reste ayant d’oreille autant que sur ma main :
Un loup n’eût su par où le prendre.
Le roi des animaux : l’homme.
Mouflar: Le nom vient de « moufle » qui, à l’époque de La Fontaine, signifiait un gros visage trop rond ; ce terme convient particulièrement au dogue.
Piller : mordre.
Le proverbe est « Chien hargneux a toujours les oreilles déchirées ». Il est cité par Antoine Oudin dans les « Curiosités françaises pour supplément aux dictionnaires » (1665) et par Adrien de Montluc dans sa « Comédie des
Proverbes ».
Esclandre : le terme n’a pas le sens de « scandale » ou de « querelle bruyante » qu’il revêt aujourd’hui ; il signifie ici « incident fâcheux ».
Gorgerin : il s’agit soit d’une pièce d’armure couvrant le cou, soit d’ un collier armé de clous qui entoure la gorge du chien, sens que le mot revêt ici. Ce terme prolonge les expressions militaires qui précèdent.