A l’époque de l’arrivée de La Fontaine, l’Académie était encore jeune. Rappelons pour mémoire qu’elle fut créée par Richelieu en 1636, et que l’Edit Royal qui la confirmait datait de 1637. A peine 50 ans, donc, ce n’était qu’une jeune fille. Comme vous avez pu le voir, La Fontaine était le 100° reçu dans l’illustre assemblée. Il faut noter que l’Assemblée avait (et a toujours) la charge de création du dictionnaire officiel de la langue française. Elle est là pour veiller à « l’embellissement et l’augmentation de la langue française ». L’assemblée ne pouvait, à l’époque, juger que les livres directement écrits par les Académiciens ou qui lui étaient présentés par leurs auteurs, sous réserve que ceux-ci reçoivent une autorisation de l’Assemblée. En aucune manière elle ne pouvait donner son avis sur les autres livres. Une restriction faite par les signataires de l’édit qui enregistrait l’Assemblée. Par contre, les Académiciens, qui passaient une bonne partie de leur temps à rédiger le dictionnaire obtinrent en 1674 un privilège bien particulier. Personne n’avait le droit de présenter, d’éditer ou de faire imprimer un dictionnaire avant la sortie officielle du dictionnaire de l’Académie.
Et c’est de là que toute l’affaire Furetière va partir…
En effet, s’il n’avait pas brillé par l’énormité (ni la qualité) de son oeuvre littéraire, Antoine Furetière (né en 1619 et élu à l’Académie depuis 1662) travaillait depuis plus de trente ans dans l’ombre à la rédaction d’un Dictionnaire Universel. En 1685, l’ouvrage était terminé, et Furetière chercha à le faire imprimer. Mais les Imprimeurs ne pouvaient pas accepter d’aller contre les volontés de l’Académie. Furetière invita alors à dîner le vieux Charpentier, Académicien depuis 1650. Il le soigna, dit-on très bien et lui parla de son fameux dictionnaire, se gardant bien de lui dire qu’il était « concurent » de celui de l’Académie. Il affirma que ce dictionnaire était un ouvrage de sciences, et Charpentier n’alla pas voir plus loin. Il donna à Furetière une autorisation spéciale de l’Académie pour publier son oeuvre maitresse . Et l’heureux académicien alla faire imprimer son livre!!
La nouvelle de l’impression fit grand bruit et remua fort ces messieurs habituellement si calmes et tranquilles… Furetière fut accusé de trahison car il connaissait parfaitement le privilège de 1674. L’Académie acceptait encore moins le fait que c’était un des siens qui avait violé la loi. Et puis, de là à ce que Furetière ait « copié » le dictionnaire de l’Académie pour faire un ouvrage personnel, il n’y avait qu’un pas que certains Académiciens n’hésitèrent pas à franchir.
On fit venir Furetière pour tenter de le ramener à la raison, sans succès, vous vous en doutez. L’homme n’était pas prêt à abandonner plus de trente ans de travail pour un privilège ridicule. La séance fut plus que houleuse et Furetière se déchaîna littéralement contre l’Académie. On fit venir à lui certains de ses amis pour tenter de le faire rentrer dans le droit chemin. Malheureusement, La Fontaine était de ceux-là et il accepta la mission que l’Académie lui avait confiée. Mal lui en prit… Il se retrouva coincé entre l’amitié qu’il avait pour Furetière et la loi de l’Académie dont il était honoré de faire partie.
Entre les deux, il choisit….. l’Académie. Il se rangea dans le clan des Académiciens, reprochant à Furetière sa trahison envers l’Assemblée.
L’Académie vota l’exclusion de Furetière le 22 janvier 1685 et supprima l’autorisation donnée par Charpentier le 9 mars de la même année.
Mais Furetière n’était pas homme à se laisser faire si facilement. Il déversa sa colère et sa haine sur le pauvre La Fontaine qui fut le bouc-émissaire de cette affaire. Il était devenu l’homme qui avait trahi une longue amitié. Rien ne lui fut épargné. Furetière lui fit tous les reproches possibles. Tout y passa: ses fables, ses contes, les essais malheureux de théâtre et d’opéra, l’affaire du Floretin, à la suite du refus de Daphné par Lulli, la jeunesse de La Fontaine, ses amitiés et connaissances, l’infidélité de sa femme et son propre libertinage. Furetière déversait son fiel sur le pauvre Jean qui ne comprenait pas grand chose à toute cette haine jetée par son ancien ami. Il essaya de répondre, mais vous commencez à le bien connaître comme moi, il n’était pas méchant homme et sa plume ne savait pas être mauvaise. Il tenta bien quelques pamphlets, quelques vers trempés dans l’acide, mais la réponse de Furetière était à chaque fois plus vigoureuse et plus violente.
La guerre dura plus de deux ans!!! A la fin, Furetière se fatigua et calma un peu sa révolte. Il mourut en 1688, ruiné et sans avoir réussi à faire paraître son Dictionnaire Universel. Celui-ci fut imprimé en Hollande en 1690.
Il ne resta rien de cette haine dans l’opinion publique. Toutes les méchancetés dites par Antoine Furetière furent vite oubliées. La bonne réputation dont jouissait Monsieur de La Fontaine ne fut pas ternie. Il restait l’éternel auteur des fables et des contes et n’avait rien perdu de son prestige dans la bataille.
Petite précision apportée par une lectrice fidèle du site:
Furetière avait toute le confiance de ses amis Académiciens qui l’avaient chargé d’assister à la levée des scellés chez le secrétaire perpétuel Mézeray décédé le 10/07/1683. Or, Mézeray était responsable de la garde des feuilles du Dictionnaire qui avaient déjà été imprimées, des épreuves et des cahiers de corrections. On n’a jamais fait la preuve que Furetière a subtilisé une partie des documents mais Régnier-Desmarais, successeur de Mézeray comme secrétaire perpétuel a tout de même démontré sans peine que Furetière avait fait de larges emprunts aux travaux de l’Académie. Il faut tout de même savoir que Furetière n’a jamais été complètement exclu de l’Académie, puisque le roi n’a jamais rendu sa sentence à la demande d’exclusion votée par 18 boules noires des 19 membres présents alors que le quorum était de 20 membres. La mort de Furetière a mis fin à la demande de réflexion du roi…. Au fait, alors que les Académiciens se réunissaient depuis 1634, c’est le 22 février 1635 (et non 36) que Richelieu renvoya les statuts signés de sa main, scellés de ses armes etc..et que l’Académie fut officiellement créée. Chapelain (fauteuil 7, N°;3) avait proposé comme objet pour l’Académie de »travailler à la pureté de la langue et de la rendre capable de la plus haute éloquence », ce qui a été constamment réalisé. C’est alors qu’il a suggéré qu’il convenait de faire un dictionnaire, une grammaire etc…Seul l’objectif du dictionnaire a été poursuivi… Pour la petite histoire, le dictionnaire de Furetière était finalement supérieur à celui qui était en préparation.
Furetière, Antoine (1619-1688), écrivain français à qui l’on doit le Dictionnaire universel, publié en 1690. Académicien, issu de la petite bourgeoisie, ancien magistrat, il fut exclu de l’Académie française (voir Institut de France) pendant les travaux de rédaction du Dictionnaire de l’Académie, qui parut en 1694, et rédigea son propre Dictionnaire universel. Cet ouvrage, non content d’avoir concurrencé celui de l’Académie, constitue un témoignage précieux sur la langue technique, les jargons des métiers, et sur les expressions populaires auxquels les ouvrages de lexicographie contemporains n’avaient pas accordé de place. Il est également l’auteur d’un roman satirique, le Roman bourgeois (1666), dont les thèmes, les situations et les personnages réalistes sont aux antipodes des codes et des conventions du romanesque aristocratique de l’époque.