L’ Amour et la Folie (Livre XII – Fable 14)

Il semble bien que cette pièce ait trouvé son inspiration dans une longue allégorie de Louise Labé (Lyon 1524 – Parcieux-en-Dombes 1566). Dans le Débat de Folie et d’Amour par Louize Labé Lyonnoize » (voir « Louise Labé – Œuvres complètes », édition, préface et notes par François Rigolot, GF – Flammarion, n°413, 1986, p. 43-103), la Belle Cordière développe un thème qui sera repris plus tard par le Père Comire dans les « Carmina ». Ce texte contient un poème latin « Dementia Amorem ducens » (1681 puis 1689). Il sera ensuite traité par La Fontaine.
Ce poème sera unanimement loué, tant par Voltaire que par Chamfort. Cette fable ainsi que les suivantes seront publiées, dès 1685 dans des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine. L’édition de 1685 porte un titre inversé par rapport à celui-ci « La Folie et l’Amour ».

                Tout est mystère dans l’amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance :
Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour
Que d’épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l’aveugle que voici
(C’est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière,
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
J’en fais juge un amant, et ne décide rien.La Folie et l’Amour jouaient un jour ensemble :
Celui-ci n’était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l’Amour veut qu’on assemble
Là-dessus le conseil des dieux ;
L’autre n’eut pas la patience ;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu’il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris :
Les dieux en furent étourdis,
Et Jupiter, et Némésis,
Et les juges d’enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l’énormité du cas :
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas :
Nulle peine n’était pour ce crime assez grande :
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L’intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l’Amour.

Son enfance: Le fait qu’il soit un enfant. On représente souvent l’Amour sous les traits d’un enfants aux yeux bandés. Il porte des ailes au dos et est armé d’un carquois et de flèches.Vénus en demande vengeance: « Estant la plusafligee mere du monde, je ne puis parler, que comme les afligees. […] Je vous demande justice et vengeance de la plus malheureuse femme qui fust jamais, qui m’a mis mon fils Cupidon en tel ordre que voyez. » (op cit., p. 59).

Némésis: Dans la mythologie grecque : Fille de la nuit, elle est chargée de la vengeance des dieux.

Les juges d’enfer: Eaque, Minos et Rhadamante étaient les trois juges chargés de juger les morts aux Enfers. Elle représenta l’énormité du cas: Dans le texte de Louise Labé, Apollon prend le parti de Vénus tandis que Mercure plaide pour la Folie.

Celui de la partie: Terme juridique. Selon Furetière : « se dit de tous les plaideurs ».

Le résultat: Au sens juridique : « la décision ».