Le Rat de ville et le Rat des champs
Livre I - Fable 9
Le canevas de départ de cette fable est à rechercher à la fois chez
Aphtonius et chez un auteur anonyme. La description du thème a été reprise d
’Horace (« Satires », II, 4 ; dans ce texte, Catius et Horace discutent de la
mémoire ; Horace décrit par cœur une table particulièrement bien garnie). La
Fontaine traite ici un lieu commun - que nous retrouverons dans d’autres fables -
entre les tracas de la ville et la quiétude de la campagne. Et il prend position lui, le
maître des Eaux et Forêts qui pouvait rester assis sous un arbre sans voir tomber la
nuit, prend évidemment parti pour le calme de la vie à la campagne, position qu’il
a déjà défendue dans « Le Songe de Vaux » (fragment II, harangue d’Hortésie) ou
dans les « Relations d’un Voyage en Limousin ». Les fables « Le Songe d’un
Habitant du Mogol » (Livre XI, fable 4) ainsi que « Le Juge arbitre, l’Hospitalier
et le Solitaire » argumenteront dans le même sens.
Comme dans bien d’autres pièces, La Fontaine montre une certaine tactique des
faibles face aux puissants, ici la fuite du rat des champs face à un bruit.
Le poème est composé d’heptasyllabes à rimes croisées, sauf dans le dernier
quatrain où les rimes sont embrassées.
Autrefois le rat des villes
Invita le rat des champs,
D'une façon fort
civile,
A
des reliefs d'ortolans.
Sur
un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort
honnête :
Rien ne manquait au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le rat de ville détale ,
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats
en campagne
aussitôt ;
Et le citadin de dire :
«Achevons tout notre
rôt.
-C'est assez, dit le
rustique ;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que
je me pique
De tous vos festins de roi ;
Mais
rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc.
Fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre!»
