Monsieur de La Fontaine naquit à Château-Thierry en l’année 1621. Son père, maître des Eaux et Forêts de ce duché, le revêtit de sa charge dès qu’il fut capable de l’exercer, mais il y trouva si peu de goût, qu’il n’en fit la fonction, pendant plus de vingt années, que par complaisance. Il est vrai que son père eut pleine satisfaction sur une autre chose qu’il exigea de lui, qui fut qu’il s’appliquât à la poésie, car son fils y réussit au delà de ce qu’il pouvait souhaiter. Quoique ce bonhomme n’y connût presque rien, il ne laissait pas de l’aimer passionnément, et il eut une joie incroyable, lorsqu’il vit les premiers vers que son fils composa. Ces vers se ressentaient comme la plupart de ceux qu’il a faits depuis, de la lecture de Rabelais et de Marot, qu’il aimait et qu’il estimait infiniment. Le talent merveilleux que la nature lui donna, n’a pas été inférieur à celui de ces deux auteurs, et lui a fait produire des ouvrages d’un agrément incomparable. Il s’y rencontre une simplicité ingénieuse, une naïveté spirituelle, et une plaisanterie originale qui, n’ayant jamais rien de froid, cause une surprise toujours nouvelle. Ces qualités si délicates, si faciles à dégénérer en mal et à faire un effet tout contraire à celui que l’auteur en attend, ont plu à tout le monde, aux sérieux, aux enjoués, aux cavaliers, aux dames et aux vieillards, de même qu’aux enfants. Jamais personne n’a mieux mérité d’être regardé comme original et comme le premier de son espèce. Non seulement il a inventé le genre de poésie, où il s’est appliqué, mais il l’a porté à sa dernière perfection; de sorte qu’il est le premier, et pour l’avoir inventé, et pour y avoir tellement excellé que personne ne pourra jamais avoir que la seconde place dans ce genre d’écrire. Les bonnes choses qu’il faisait lui coûtaient peu, parce qu’elles coulaient de source, et qu’il ne faisait autre chose que d’exprimer naturellement ses propres pensées, et se peindre lui-même. S’il y a beaucoup de simplicité et de naïveté dans ses ouvrages, il n’y en a pas eu moins dans sa vie et dans ses manières. Il n’a jamais dit que ce qu’il pensait, et il n’a jamais fait que ce qu’il a voulu faire. Il joignit à cela une humilité naturelle, dont on n’a guère vu d’exemple; car il était fort humble sans être dévot, ni même régulier dans ses moeurs, si ce n’est à la fin de sa vie qui a été toute chrétienne. Il s’estimait peu, il souffrait aisément la mauvaise humeur de ses amis, il ne leur disait rien que d’obligeant, et ne se fâchait jamais, quoiqu’on lui dît des choses capables d’exciter la colère et l’indignation des plus modérés. Monsieur Fouquet alors surintendant des Finances lui donna une pension, et lui fit beaucoup d’accueil ainsi qu’à ses ouvrages, dont il y en a plusieurs où il l’a loué très ingénieusement, et où les beautés de sa maison de Vaux-le-Vicomte sont dépeintes avec une grâce admirable. Le peu de soin qu’il eut de ses affaires domestiques l’ayant mis en état d’avoir besoin du secours de ses amis, Madame de La Sablière, dame d’un mérite singulier et de beaucoup d’esprit, le reçut chez elle, où il a demeuré près de vingt ans. Après la mort de cette dame, Monsieur d’Hervart, qui aimait beaucoup M. de La Fontaine le pria de venir loger chez lui, ce qu’il fit, et il y est mort au bout de quelques années. Il a composé de petits Poèmes épiques, où les beautés de la plus grande poésie se rencontrent, et qui auraient pu suffire à le rendre célèbre; mais il doit son principal mérite et sa grande réputation à ses Poésies simples et naturelles. Son plus bel ouvrage et qui vivra éternellement, c’est son recueil des fables d’Esope qu’il a traduites ou paraphrasées. Il a joint au bon sens d’Esope des ornements de son invention si convenables, si judicieux et si réjouissants en même temps, qu’il est malaisé de faire une lecture plus utile et plus agréable tout ensemble. Il n’inventait pas les fables, mais il les choisissait bien, et les rendait presque toujours meilleures qu’elles n’étaient. Ses Contes qui sont la plupart de petites nouvelles en vers sont de la même force, et l’on ne pourrait en faire trop d’estime s’il n’y entrait point presque partout trop de licence contre la pureté; les images de l’amour y sont si vives qu’il y a peu de lectures plus dangereuses pour la jeunesse, quoique personne n’ait jamais parlé plus honnêtement des choses déshonnêtes. J’aurais voulu pouvoir dissimuler cette circonstance, mais cette faute a été trop publique et le repentir qu’il en a fait paraître pendant les deux ou trois dernières années de sa vie a été trop sincère pour n’en rien dire. Il était de l’Académie française, et lorsqu’il témoigna souhaiter d’en être, il écrivit une lettre à un prélat de la Compagnie, où il marquait et le déplaisir de s’être laissé aller à une telle licence, et la résolution où il était de ne plus composer rien de semblable. Il mourut à Paris le 13 avril 1695, âgé de soixante-quatorze ans, avec une constance admirable et toute chrétienne.
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